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Il y a 30 ans paraissait l'"Eloge de la Créolité" de Bernabé, Chamoiseau et Confiant

Il y a 30 ans paraissait l'"Eloge de la Créolité" de Bernabé, Chamoiseau et Confiant

  C'est, en effet, en 1988 que fut publié par les éditions Gallimard un texte intitulé "Eloge de la Créolité" signé par ces trois personnalités assez dissemblables que sont Jean BERNABE (aujourd'hui décédé), Patrick CHAMOISEAU et Raphaël CONFIANT. 

   Ce texte devait connaître un grand retentissement, non seulement aux Antilles et dans l'Hexagone mais aussi au plan international puisqu'il est traduit en anglais, en italien, en espagnol, en japonais etc...et qu'il est désormais étudié dans les grandes universités des Etats-Unis, du Canada, d'Angleterre et d'Allemagne. Un peu moins en France...

   Le Mouvement dit de la Créolité venait de naître mais ses géniteurs n'avaient aucunement eu l'intention de créer un nouveau mouvement littéraire. Ce qui s'est passé relève de ce que les surréalistes appelaient "le hasard objectif" : un Festival culturel antillais de la Seine-Saint-Denis, en France donc, avait invité BERNABE, CHAMOISEAU et CONFIANT à faire chacun une courte intervention sur la littérature antillaise. Ceux-ci décident de faire une seule et même communication qu'ils liront à tour de rôle pendant près d'une heure et demi, ce qui agacera fort les organisateurs. De retour en Martinique, les auteurs de ce qui leur est apparu comme un manifeste littéraire décident de l'étoffer et de le publier. A aucun moment, ils n'ont pensé que l'Eloge de la Créolité aurait connu un tel retentissement.

   Avec le recul, on comprend que cet ouvrage a correspondu à une demande sociale car dans ces mêmes années 1980-90, sont apparus des mouvements similaires dans d'autres domaines (le groupe KASSAV pour la musique, le groupe FROMAGER pour la peinture, des groupes travaillant sur la pharmacopée créole ou l'architecture créole etc.) sans que pour autant, il y ait eu de connections entre ces différentes expressions de ce qu'il faut bien appeler la Créolité. La tri-séculaire "société d'Habitation" venait de s'effondrer corps et biens et le corps social a ressenti le besoin de conserver et de valoriser ce que celle-ci, au beau mitan de l'ignominie esclavagiste, avait produit de meilleur, notamment la lange créole, les contes, le bèlè et la biguine, les rimed-razié, le jardin créole etc... 

   Jean BERNABE fut un grand linguiste , Patrick CHAMOISEAU un artiste multi-talents (littérature, dessin, chansons etc.) et Raphaël CONFIANT un écrivain créolophone. Il a fallu à ces trois personnalités si différentes faire preuve d'une forme d'humilité pour arriver à écrire l'Eloge de la Créolité au sein duquel pour qui sait lire, on repère ici et là des tensions et des compromis difficilement arrachés. Malheureusement, trois mécompréhensions vinrent ternir un peu le succès de leur manifeste sans parvenir pour autant à restreindre son audience :

    . la controverse avec le Mouvement de la Négritude ou plus exactement de ses thuriféraires qui se sont plus à qualifier le Mouvement de la Négritude d'anti-nègre et d'anti-africain. De toute façons, d'anti-CESAIRE. Or, il suffit de lire le texte pour se rendre compte qu'il s'agit d'une pure ineptie. CESAIRE y est même dédouané quant à son refus de la langue créole puisque dans l'Eloge, il est qualifié d'"anté-créole" et non d'"anti-créole", le préfixe "anté" renvoyant à l'idée qu'à son époque la problématique créole n'était pas pertinente. Il lui fallait pousser le "grand cri nègre" et il l'avait avec un immense talent ! Et contrairement à ce que prétendent les "noiristes", le Père de la Négritude n'a jamais voulu que les Noirs des Amériques retournent en Afrique. Il a voulu domicilier l'Afrique aux Antilles et aux Amériques ! Faire que la part africaine de notre culture soit pleinement reconnue et valorisée au quotidien.

    . la controverse avec Edouard GLISSANT et son concept de "créolisation" que d'aucuns se sont empressés d'opposer à celui de "créolité", le premier relevant du processus alors que le second relèverait de l'essence. L'essentialisme étant disqualifiant, les adversaires du Mouvement de la Créolité ont brandi la Créolisation comme l'arme fatale contre ces trois auteurs. Or, Jean BERNABE avait répondu à cette ineptie d'une simple sentence : "Il n'y a aucune contradiction entre créolisation et créolité pas plus qu'il n'en existe entre hominisation et humanité. La créolisation représente le processus par lequel l'esclave africain s'est peu à peu, difficultueusement, reconstruit dans l'enfer esclavagiste ; la créolité est, à chaque période historique, l'état d'esprit dans lequel s'est trouvé celui-ci."

     . certains universitaires européens et nord-américains pour lesquels les romans des auteurs de la Créolité relèvent du "passéisme" ou du "folklorisme". A ces qualificatifs, il est facile de répondre que ce n'est pas aux Occidentaux de nous dire ce qu'est ou n'est pas notre littérature et surtout pas aux départements de Black Studies, French Studies ou Post-colonial Studies. Ils ont, bien évidemment, le droit d'analyser notre littérature, mais ils n'ont pas celui de nous dicter ce qu'elle devrait être.

    Sinon, l'Eloge de la Créolité a magnifié l'identité multiple et ce qu'elle a appelé d'un beau néologisme "la diversalité", préfiguration du monde qui vient dès l'instant où l'on réussira à lutter efficacement contre la globalisation à l'anglo-saxonne.  Si, en effet, il n'y a qu'un seul processus de créolisation (d'ailleurs ininterrompu), il y a plusieurs créolités successives : celle des Blancs créoles, celle des gens de couleur libres, celle des Noirs, puis des immigrants asiatiques etc. Successives et concomitantes car quand la créolité békée s'efface devant celle des gens de couleur, elle ne disparaît pas tout à fait et lorsque la créolité nègre prend le dessus, les deux autres formes de créolités ne disparaissent pas totalement non plus. C'est ce qui donne à la culture créole son aspect kaléidoscopique ou mosaïque.

   Il y aurait beaucoup à dire sur un texte qui a marqué non seulement la littérature martiniquaise et caribéenne, mais aussi nos sociétés toutes entières. Le seul fait que le 30è anniversaire de l'Eloge de la Créolité passe complètement inaperçu témoigne, hélas, de l'état d'atonie dans lequel nous avons sombré depuis le nouveau millénaire...

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