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"Régisseur du rhum"

IL EST DES LIVRES QUE RIEN NI PERSONNE NE SAURAIT VOUS ARRACHER DES MAINS LORSQUE L’ON EN A COMMENCÉ LA LECTURE.

par Matthieu Lange http://www.rumporter.com/
IL EST DES LIVRES QUE RIEN NI PERSONNE NE SAURAIT VOUS ARRACHER DES MAINS LORSQUE L’ON EN A COMMENCÉ LA LECTURE.

« Régisseur du rhum », de Raphaël Confiant, fait partie de ces ouvrages pour lequel vous tentez de lutter contre le sommeil le soir dans votre lit afin d’emporter dans les bras de Morphée quelques mots, quelques images, quelques sons…

Ce roman se passe dans les années 1930 en Martinique. Le héros du livre s’appelle Pierre-Marie de La Vigerie. Héritier d’une famille de békés présente depuis plusieurs siècles sur l’Ile, il est propulsé à la tête de la distillerie de Rivière-Salée surnommée la « cathédrale du rhum ». Au début du XXème siècle, Emile Légier, rédacteur en chef de la «Sucrerie indigène et coloniale »,  nous informe que cette Usine, qui ouvre ses portes en 1871 dans la plaine du Lamentin, broie 450 tonnes de cannes par jour. La Martinique possède alors 21 Usines centrales sur son sol, elle n’en possède plus que 16 en 1935, date à laquelle se déroule ce roman. Pour rappel une Usine est une unité de transformation de la canne en sucre et parfois en rhum. Elle est approvisionnée par un réseau d’habitations qui auparavant traitaient leurs propres cannes.

 

L’histoire de Pierre-Marie de La Vigerie est le prétexte de l’auteur pour nous dresser un portrait sans concession de la vie quotidienne dans une Usine et plus largement de la société Martiniquaise des années 30.

 

La vie à l’usine est très dure, impitoyable, injuste parfois. Elle l’est devant les moulins et leur brouhaha continu, dans le train qui effectue la liaison entre les champs et les presses, autour des cuves de fermentations, dans l’épicerie attenante à l’usine, dans la salle où les salaires sont versés.

 

Cette vie se déroule dans les champs de canne sous un soleil de plomb. Les femmes y jouent un rôle important. Elles abreuvent les ouvriers d’eau qu’elles vont parfois chercher à plusieurs kilomètres. Ce sont les amarreuses qui, lorsque que leur dos s’est usé à fagoter les cannes après la coupe, se portent volontaires pour cette tâche qui les fait courir aux quatre coins des champs pour répondre aux appels des coupeurs assoiffés. Ces femmes sont souvent méprisées et parfois victimes de viol sur la plantation, victimes d’un employé de l’usine ou bien d’un dirigeant.

 

Quant au coupeur de cannes, il subit en bout de chaîne le durcissement de la concurrence, les décisions des planteurs et celles de la Métropole. Raphaël Confiant faisant parler un Commandeur du rhum qui a toujours voulu prendre soin de cannes, écrit : « Si le vent ne siffle pas à travers vos plantations, déclarait-il, s’il n’arrive pas à se frayer un chemin, c’est que vos cannes forment une muraille qui sera un vrai supplice pour les coupeurs qui s’y attaqueront. Pas étonnant que, chez mon compère Bélisaire, rares sont ceux qui arrivent à aligner leurs vingt-cinq piles quotidiennes ! On ne se bousculait pas, […] lorsqu’on démarrait la récolte […]. Non seulement il fallait se battre avec les hautes herbes et la paille de canne, mais on risquait aussi sa vie dans ces nids de serpents qu’étaient ses plus vastes parcelles ».

 

Les difficultés des coupeurs de canne s’accentuent lorsqu’il est nécessaire de changer la variété de canne jusqu’ici utilisée. L’auteur évoque la Canne créole, cultivée jusqu’alors à Rivière Salée. Notons la description qu’en fait Ph. Boname en 1888 dans son ouvrage « Culture de la Canne à sucre à la Guadeloupe », en 1888 : « petite et très sucrée, [la canne créole] n’est pas cultivée dans les plantations : elle n’est peut-être que la canne d’Otaïti, ayant végété habituellement dans des circonstances peu favorables à son développement ». Dans notre roman, cette canne est victime du borer, un papillon qui ravage les plantations. Il faut donc la remplacer par la canne rubanée ou la canne cristalline, jugées plus résistantes. Mais surtout ces cannes ont des écorces plus épaisses. Les coupeurs sont donc contraints à plus d’efforts pour les sectionner : « écorce dont la dureté était telle qu’il fallait s’y prendre à deux fois pour en sectionner la tige. Si par malheur une pluie fine avait arrosé la terre, la lame du coutelas pouvait glisser sur cette dernière et vous entailler la cuisse ou le cou du pied »

Culture de la canne à sucre - Martinique

Culture de la canne à sucre - Martinique

 

La protection des travailleurs était très faible et le danger permanent. Un ouvrier du nom de Marceau aura le bras emporté dans le rolls alors qu’il y introduisait la canne qui devait rejeter son jus.

 

Dans ce paysage de la plantation que nous propose Raphaël Confiant, le train joue un rôle essentiel. « Sans le train, la plantation de canne et l’usine ne sont rien. Elles ont toutes deux besoin de ce cordon ombilical qui ne doit, sous aucun prétexte, se distendre ou se rompre ». De nombreuses pages sont consacrées au train dans ce livre. Historiquement, l’Usine de Rivière Salée fait partie des usines les mieux équipées en termes de voies ferrées. Posséder un train était indispensable à l’époque mais il s’agissait d’un investissement très onéreux et parfois d’une prouesse technique. Il faut s’imaginer de petites locomotives à vapeur devant tirer des tonnes de cannes à sucre des habitations à l’Usine centrale, le tout sur un relief escarpé. Un mètre de rail posé coûte cher et le sol accidenté oblige souvent à rallonger les voies pour faire passer les locomotives dans des endroits plus plats.

 

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le matériel roulant venait principalement de France et un peu d’autres pays d’Europe. Après 1945, avec le Plan Marshall, ce sont les américains qui fournissent la majeure partie du matériel aux Antilles françaises. L’époque à laquelle se passe le roman est celle où l’on commence à passer des locomotives à vapeur aux locomotives diesel. Mais de cela il n’est pas question dans ce roman.

 

Ce qui frappe, c’est la méfiance qui règne au sein de cette fourmilière d’ouvriers très qualifiés. Concernant le train, Raphaël Confiant imagine la présence d’un ouvrier corrompu travaillant pour le concurrent à qui il livrerait les cannes d’une des plantations du domaine, en faisant bifurquer des wagons sur le réseau ferroviaire de l’Usine voisine. Cette petite histoire est l’occasion pour l’auteur de dresser le portrait d’une partie de la société blanc-créole incapable de s’adapter au monde moderne, croulant sous les dettes contractées auprès du Crédit foncier Colonial qui prêta, à une époque, de l’argent à tour de bras puis qui n’hésitait pas à mettre des habitations en faillite pour récupérer son dû.

 

Dans les faits, chaque usine a construit son réseau ferroviaire avec un écartement de rails qui lui est propre, justement pour ne pas que des wagons transitent d’une habitation à l’autre. Historiquement, l’Usine à proximité de celle de Rivière Salée est celle de Petit-Bourg. Effectivement sur certains tronçons les rails de l’une étaient à quelques mètres des rails de l’autre. Mais ceux de l’Usine Rivière Salée avait un écartement de 1.27 mètres quand les rails de sa concurrente en avaient un de 1.13 mètres… Si d’aventure un wagon ou une locomotive s’était aventurer sur un autre réseau que le sien, il aurait fallu alors changer les essieux…ou risquer le déraillement.

 

La méfiance, évoquée précédemment est également présente lorsqu’on soupçonne les ouvriers de voler les traverses des rails pour consolider leurs cases. Elle se fait aussi sentir lorsque qu’il s’agit pour les « petits chefs » de sanctionner leurs subalternes via des retenues sur salaires. Et c’est la méfiance encore, voir le rejet, qui domine lorsqu’une histoire d’amour nait entre un jeune homme blanc et une jeune femme noire.

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