« Le commandant fut happé par l’idée que, dans une ironie malencontreuse du sort, il était en train de vivre ce qu’il avait ardemment désiré au fil de sa longue et monotone carrière : la rencontre avec un tueur considérable, une bête de sang demeurée inconnue des forces de police. Et c’était là, durant la merde de ce vendredi 13, ultime nuit de garde de sa longue carrière, qu’il découvrait son existence, et qu’il se retrouvait soumis au bon plaisir de ce que la Martinique avait sans doute produit de plus épouvantable... »
Tenu captif, le commandant de police écoute le récit hypnotique du tueur. Car tant que la confession dure, la mort est tenue à distance.
La quatrième de couverture est excellente, vu qu’elle donne en fait la musicalité du livre... et c’est en fait ce qui est fondamental ici. C’est le ton, les constantes digressions, le vocabulaire choisi. Quelque part, en fait, c’est la Martinique, le premier personnage de ce thriller qui n’en est pas vraiment un, tant l’écriture emporte tout sur son passage... une poésie flamboyante qui se confronte à un vocabulaire pauvre, manque criant de culture de la délinquance actuelle qui détruit cet héritage qui ne lui est plus transmis.
Même si le policier est face au tueur, l’intrigue ne se situe pas au niveau de l’affrontement, mais au contraire du point commun... dont nous découvrirons peu à peu au fur et à mesure que le serial killer s’expliquera. Quelles pulsions peuvent animer l’action ? Nos origines, notre éducation, notre expérience... qu’est-ce qui détermine nos choix ? Vous l’aurez compris, le style prime sur tout... Donc, si vous vous attendez à un thriller passionnant autour du "vendredi 13", titre de la collection, qui nous le rappelons, constitue le cahier des charges imposé par les éditions La Branche à divers éminents auteurs en langue française, c’est en quelque sorte également sa faiblesse, vu que l’intrigue n’est qu’un prétexte !
Prétexte à nous parler avec beaucoup plus d’amertume que de douceur, mais aussi avec un fond de désespérance, de l’évolution de la Martinique qui semble broyée par la mondialisation. Patrick Chamoiseau (Prix Goncourt 1992) ne nous parle pas de la métropole et autres relents colonialistes, mais d’une culture McDonald qui efface peu à peu traditions, us, coutumes mais surtout l’identité insulaire (la comparaison avec Haïti est intéressante...). Nous voici avec des questions philosophiques, très loin de l’étude de caractères propre au polar, mais qui se révèle justement dans toute son originalité, même si cette brillante écriture, pleine de verve et de couleur riches et subtiles pourrait décontenancer les amateurs du genre.
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Source: http://blue-moon.fr/