Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL
Thierry Caille

HOMMAGE INFÂME A THIERRY C…

HOMMAGE INFÂME A THIERRY C…

Je me doutais bien que tu partirais un jour sans prévenir. C’est pourquoi je n’ai ressenti ni étonnement ni tristesse lorsque j’ai appris ce que le langage, dans sa vulgarité quotidienne, appelle « la terrible nouvelle ». Car nous sommes là, avec toi, au cœur du problème : celui de l’obscénité du quotidien. D’aucuns te disaient bizarre, autant dire en ces temps où le terme « normal » est porté au pinacle, un être qui ne trouvait jamais sa place à l’endroit où il se trouvait. Ces personnes ignorent, semble-t-il, que le plus proche synonyme de « normal » est « médiocre ».

Tu abhorrais la médiocrité du quotidien.

Cette « petite vie menteusement souriante » dont parlait Césaire que tu avais découverte lors de ton séjour de dix ans en tant qu’ingénieur agronome à la Martinique. Tout comme cet autre agronome que fut Alain Robbe-Grillet, le fondateur du Nouveau Roman, te faisais-je remarquer, ce dont tu n’avais rien à cirer, rétorquais-tu. Tu y avais en tout cas préféré, insistais-tu (mais nous sommes-nous rencontrés plus de deux ou trois fois dans cette vie ?), les marins-pêcheurs des Anses d’Arlets avec lesquels tu engloutissais du rhum sec tout en apprenant quelques vocables de créole « vié-neg », oui, tu les préférais aux fonctionnaires apathiques de ton administration, aux politiciens verbeux brandissant leur petit « pouvoir local » et leur nationalisme de pacotille, à toute cette cohorte de citoyens normaux, de zombies, encagés dans leurs grosses cylindrées qui hantent les boites de nuit, les concerts ou les défilés de mode, repus et incultes. Créatures à l’infinie petitesse que Césaire__encore lui !__qualifiait d’ « âmes de morue ».

Mais tu n’étais point tendre non plus avec tes « compatriotes » (tu insistais pour mettre des doubles guillemets) de France et de Gascogne, ta province natale. Alors, suivant la fameuse injonction de Fanon : « Quittons cette Europe qui n’en finit pas de… ! », tu t’échappais. Tu fuyais leurs idéaux médiocres : travail, famille, patrie, droits de l’homme (blanc), pouvoir d’achat (de biens inutiles), parité à tous les étages et tutti quanti. Tu t’embusquais dans l’écriture, la poésie surtout, toi l’agronome qui savait parler aux arbres. Tu te rêvais Rimbaud en partance pour l’Arabie heureuse, Gauguin et Brel dérivant aux îles polynésiennes, Lafcadio Hearn (né en Grèce, élevé en Angleterre, journaliste aux Etats-Unis, collecteur de contes créoles à Saint-Pierre de la Martinique et, pour finir, de fantômes japonais) et, inévitablement, tu échouais dans la lagune, à Abidjan, Côte d’Ivoire. Là, dans la fange et sa grandeur, tu adoptas ce gamin mutique d’une douzaine d’années que tu conduisis illico presto à la Martinique afin de me rencontrer et qui, ô miracle, éclata de rire lorsqu’arrêté à un contrôle routier, route de La Folie (c’est pas une blague !), non loin du Fort Desaix, l’anormal que je suis moi aussi n’avait pu présenter, comme d’habitude, aux gendarmes ni carte grise ni contrôle technique, ce pourquoi ils décidèrent d’immobiliser net mon véhicule lequel fut tout content à l’idée de se reposer après douze années d’une chienne de vie. Alors, toi, Thierry C…de jaillir de ton siège, cheveux hirsutes, regard d’airain et de t’écrier, à ma grande stupéfaction : « Mais c’est Raphaël Confiant enfin ! ». Apostrophe qui ne fit ni chaud ni froid aux pandores en question et qui__je te le dis aujourd’hui__m’agaça au plus haut point.

Tu ne cessais ne retourner dans ta lagune où, la dernière fois, au mitan d’une guerre fratricide et féroce (Gbagbo contre Ouattara), tu sauvas Awa. Cette belle liane d’Awa que tu refusas de me présenter à cause de ses 24 ans, prétendais-tu, et parce qu’elle ne parlait pas français mais baoulé et parce que tu étais fou à lier de son rire et de son corps. Quelques photos (limite X), miracle du courriel, me permirent tout de même de jauger la créature que je te demandai, avec insistance, de protéger lorsque tu la ramènerais dans ta froidureuse Gascogne. Ce que tu fis.….

Mais tu ignoras toujours ce que je vais maintenant te révéler et qui, où que tu sois désormais, t’arracheras des larmes d’hilarité : certains lecteurs du site-web MONTRAY KREYOL auquel tu livrais tes chroniques déjantées et tes poèmes outrageusement classiques dans leur forme mais terriblement subversifs, oui, certains lecteurs furent longtemps persuadés que Thierry Caille était un pseudonyme. Mon pseudonyme à moi !!! Cette méprise, marquée au coin d’un esprit pervers, m’avait toujours enchantée et je me gardais bien de la lever. Je me cachais derrière le pseudo de Thierry C…, eh bien tant mieux ! Landjet manman-zot !

Très vite, en 2007, tu sympathisas avec le tout premier webmaster de MONTRAY KEYOL, Pierre Papaya, que jamais tu ne rencontras physiquement, communiste révolutionnaire et indépendantiste farouche avec lequel tu te brouillas vingt fois pour vous réconcilier dans d’interminables conversations téléphoniques dont vous m’aviez exclu, cela jusqu’au moment où la mort de notre ami y mit un terme. Nous nous fâchâmes nous aussi, toi et moi. Plutôt cent fois qu’une. Autrement dit, je me brouillais avec mon propre pseudonyme ! Pff, quel pays !...

C’est que nous n’étions d’accord à peu près sur rien et pourtant tu déclarais à qui voulait l’entendre que j’étais ton meilleur et ton seul ami (cette fois, je m’en souviens : nous ne nous sommes rencontrés en tout et pour tout que deux fois). Tu m’engueulais « Espèce de chaben emmerdeur ! » ; je t’engueulais « Espèce de Petit Blanc de mes deux ! ». Tu voulais me convertir à la musique classique et moi au fado et à la musique arabe. Tu t’entêtais à me faire relire Baudelaire et Rimbaud alors que j’inclinais pour Pablo Neruda et Mahmoud Darwich. Tu vénérais Godard et moi, Kurosawa. Tu n’avais pas oublié le rhum à 55° et moi, je rêvais à la vodka (Smirnoff black uniquement, svp et sans glaçons !). Au fond, nous n’avions, toi et moi, qu’un seul minuscule point commun : ce monde, ce monde-là, est un monde de merde.

Alors, Thierry C…, mon ami, mon frère gascon, mon pseudo-pseudonyme, je te dis, où que tu sois, mec : va te faire voir !

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.