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«Haïti serait mieux sans l’aide internationale»

«Haïti serait mieux sans l’aide internationale»

Comme dans de nombreux pays fragiles, l’aide internationale en Haïti peine à remplir ses objectifs. Le pays reste au bord du gouffre depuis le tremblement de terre de 2010.

Joel Boutroue a été représentant spécial adjoint du Secrétaire général des Nations Unies, coordonnateur résident et humanitaire des Nations Unies, et représentant du PNUD en Haïti de 2006 à 2009. Il a également occupé le poste de conseiller spécial du Premier ministre haïtien (2009-2011) puis celui de conseiller spécial de la Norvège jusqu’en 2016.

Il participera mardi lundi 6 juin 2017 à la conférence ID4D « Haïti : Comment prendre le temps du développement ? » organisée à Paris par l’Agence Française de Développement.

Cette interview est publiée en partenariat avec le blog de réflexion sur le développement ID4D.

Haïti fait partie des pays les plus fragiles du monde. Sept ans après le tremblement de terre de 2010, quels sont les enjeux auxquels le pays fait face ?

Haïti reste un pays en voie d’explosion. Au-delà de la gouvernance qui est le problème central, il y a un problème sur le front agricole. Haïti est un pays très agricole, mais il n’y a aucun investissement fait aujourd’hui dans ce secteur, aucune mise en place de pratiques soutenables et les instruments agraires n’ont pas évolué depuis la révolution haïtienne.

Il faut investir dans l’agriculture, et la première étape c’est de faire le cadastre des terres. Aujourd’hui, on se base encore sur des livres de l’époque coloniale, comme les relevés de cadastres de Moreau de Saint Mery datant de 1794.

Le deuxième grand enjeu du pays est celui de l’éducation. Elle s’est détériorée à vitesse grande V ces dernières décennies. Alors que jusque dans les années 1960, les Haïtiens s’exportaient à l’étranger pour leurs connaissances, aujourd’hui le niveau est catastrophique.

Enfin, le troisième est celui de l’eau et de l’assainissement. Haïti est une poubelle ouverte, qu’il faut traiter. Ce défi vient en amont de celui de la santé, car la population s’empoisonne. Il n’y a pas un égout, pas une station d’assainissement dans tout le pays. Ce problème est énorme est va le devenir encore plus avec la croissance démographique, puisqu’Haïti va passer de 11 millions d’habitants à environ 18 millions dans 40 ans. C’est d’ailleurs le dernier enjeu, celui de la démographie et de la planification urbaine. Port au Prince était prévu pour 200 000 habitants, ils sont maintenant 3 millions.

Haïti reçoit sans discontinue l’aide des bailleurs internationaux, notamment depuis le tremblement de terre de 2010 . Comment cette aide est elle utilisée ?

Les bailleurs de fonds sont souvent pris entre deux feux. D’un côté, il y a le besoin de rendre des comptes sur des résultats tangibles aux citoyens des pays d’origine. Et de montrer que l’argent a servi à quelque chose. De l’autre côté, il y a la capacité d’absorption du pays bénéficiaire. Et cela n’avance pas au même rythme. Pourtant, beaucoup de bailleurs de fonds, parfois par cynisme ou par paresse, font dans le court terme.

À Haïti, où les problèmes de déforestations sont importants, une partie de la population coupe moins de bois, car on a réussi à les intéresser aux arbres fruitiers, par exemple en apprenant à un agriculteur à faire du greffage de manguier pour valoriser un arbre fruitier et donc à ne pas le couper. Mais cela prend du temps.

Après le tremblement de terre en 2010, il y avait environ 15 000 millions de mètres cubes de débris à évacuer. En fait, très peu a été fait et cela a pris de mois avant que le déblayage ne commence, car personne ne voulait financer cette opération. Ce n’était  pas sexy pour les bailleurs, et le résultat n’est pas assez visible.

Cela affecte-t-il les relations avec les États fragiles ?

Face à cette obligation de recevabilité dans un temps restreint, les bailleurs prennent rapidement des libertés vis-à-vis d’un État, surtout quand il ne réagit pas. On décrit souvent Haïti comme la République d’ONG, ce n’est pas entièrement faux. Les ONG financées par les donateurs internationaux rendent parfois très peu de comptes à l’État haïtien. Mais en faisant ça, on marginalise l’État et on le met en situation de faiblesse vis-à-vis de sa population. Et l’on crée ainsi de nouveaux problèmes. L’aide en Haïti n’est pas un partenariat, ce n’est pas une relation d’égal à égal.

Pourquoi un État fragile tel qu’Haïti ne parvient-il pas à imposer ses propres priorités de développement ?

Ce n’est pas parce qu’un État a signé une stratégie de développement que les priorités des bailleurs et les siennes sont les mêmes. Le problème de l’État haïtien c’est celui de tout État fragile qui n’a pas forcément les moyens ni la capacité d’avoir des priorités. C’est justement lorsqu’on intervient dans un État fragile que les bailleurs doivent aider à clarifier les priorités et à s’y tenir au lieu d’accuser l’État de ne pas en avoir.  Mais dans cette situation, on a tendance à imposer des choix parce que la route du renforcement de la gouvernance du pays est plus longue et plus compliquée. Pourtant, toutes les initiatives de développement sont vaines sans renforcement de la gouvernance, c’est-à-dire la capacité d’un État à produire et mettre en œuvre des politiques.

L’aide internationale a-t-elle permis au pays de se développer concrètement depuis le tremblement de terre de 2010 ?

Haïti serait mieux sans aide, en tout cas sans la mauvaise aide, car elle permet à l’administration et les élites haïtiennes de continuer sans changer. À ce titre, il faudrait mieux créer des conditions qui poussent au changement. Si l’on est sur place, il faut l’être de manière intelligente, même si cela est moins visible en termes de valeur. Je ne dis pas que toute l’aide est mauvaise. On devrait par exemple pouvoir se servir de la présence internationale pour mettre la pression sur l’État qui est corrompu.

Au lieu de financer la construction de routes, ce qui coûte très cher en Haïti,  il faut s’assurer qu’il y ait des lois pour entretenir les routes construites grâce à l’aide internationale. Cela est plus important que de construire la route en elle-même.

Après le tremblement de terre, il y a eu 5 milliards de dollars d’engagés par la communauté internationale, dont  une grande partie n’arrive en fait jamais sur le terrain, car elle couvre les frais de fonctionnement. Sur l’argent qui arrive, l’État haïtien a peut-être reçu 10% en soutien budgétaire pour ses programmes. La plus grande partie est partie via les ONG internationales et même pas 1% aux ONG locales,  enfin le reste est dépensé sur des programmes humanitaires.

La coopération internationale en Haïti est donc un échec ?

En majeure partie, c’est un échec, mais pas seulement en Haïti. Dans les pays fragiles, les agences de développement vont souvent travailler avec l’administration publique, qui est une coquille vide, et avec les élites qui sont responsables de la situation telle qu’elle est. On ne fait que renforcer un statu quo. Le rapport 2017 sur la gouvernance et la loi  de la Banque mondiale le souligne :  les pays qui reçoivent de l’aide font moins d’efforts pour changer leurs gouvernances.

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