La consommation prédomine-t-elle sur les relations sociales ? A-t-elle vocation à nous rendre à ce point insensibles ? S’est-elle si solidement incrustée dans notre façon de vivre au point de modifier notre nature ? L'espèce humaine serait-elle en voie d'évolution, en voie de régression ou simplement de (consumérisme) ? Serait-elle à ce point conditionnée jusqu'à passer du stade d'homo sapiens à celui ."d'homoconsommateur ? Plus le conditionnement à la consommation évolue, plus semble-t-il nous dégringolons dans nos allures. Le propos qui suit dépeindrait-il un comportement de consommateur, ou ne montrerait-il pas conjointement, la posture stratégique d’un animal qui craint pour sa nourriture ? Donc pour sa survie ? Consommer réveillerait-il chez nous les vieux instincts bestiaux que nous croyions profondément enfouis ? C’est à voir.
Pour illustrer notre propos pourquoi ne pas parler de la nouvelle évolution des mœurs à travers notre mésaventure à la caisse d’un des temples de la consommation, où se trouvait un individu qui de par son comportement égocentrique, n'avait que l'aspect d'un homme.
Il installait sa marchandise achetée sans doute en prévision d’un tsunami, d’un tremblement de terre, d’une éruption volcanique, aussi d’un cyclone, ou sans aucun doute pour les quatre catastrophes ensemble, si ce n'est dans l'éventualité d'un accident chimique de type Seveso puisque nous avons la Sara présente sur notre territoire. L'individu semblait avoir acheté le magasin. C’est d’ailleurs son droit le plus absolu.
N'avait-on pas prévu un tsunami pas plus tard que la semaine précédente ?
Sans jouer les passereaux de mauvais augure, n’avait-t-il pas raison d’être prévoyant ? Nous sommes une ile où tous ces risques majeurs sont possibles, à n'importe quel moment, et mieux vaut prévenir que guérir.
Toutes les caisses étaient full-back ou back-full, c'est kif-kif.
Tout cela cependant n'ayant pas atteint pour nous un degré si crucial, nous attendions calmement notre tour à l'une des caisses. Il nous vint l'idée de demander poliment à l’homme s’il nous permettait de passer juste avant lui, puisque nous n’avions en main qu’un objet. (Ordinairement, lorsque nous faisons nos courses et que nous voyons que celui qui nous suit à la caisse ne tient qu’une boite de chewing-gum, nous l’invitons à passer avant nous. Ce n’est pas la peine de lui imposer notre encombrante présence.)
Mais tout le monde a-t-il cette attitude ? Le lien au charriot est fort, et l’homme-du-caddie devait être pressé d’aller rejoindre les hauteurs de Foyal pour se mettre à l’abri de tous ces dangers réunis, car en connaisseur avisé qui se respecte, et qui connaît le code et les principes de bonne conduite dans ce haut lieu public - à notre avis plus nécessaire qu'indispensable - le voilà, qui nous rabroue avec véhémence sur un ton de goujat indécrottable s’adressant à une demeurée en voie de sénilité.
L’individu qui voit rouge, recule de trois pas, ouvre son nez, puis sort ses griffes, avant de nous montrer ses crocs, il nous crache sa tirade, à la face : « Madame il y a des caisses rapides pour ça. »
Il le répète en suffoquant. On perd du temps. Il est offensé. Il s'énerve. Vocifère. Arrête de déposer ses courses sur le tapis. Le temps passe. On attend. Pour si peu, le monsieur aurait pu être victime d’une apoplexie chronique aggravée par un manque de consommation aigüe, et nous en serions responsables.
L'homme avait raison, mais respecte-t-il autant le Code de la route ? Est-il aussi intransigeant pour toutes les autres règles qui nous encadrent ? Ce bon citoyen a-t-il la même exigence et les mêmes dispositions dans tous ses comportements ? Cède-t-il volontiers sa place aux personnes âgées ? Aux handicapés à mobilité réduite ? Où a-t-il garé sa voiture ?
La vie est une donneuse permanente de leçons dont il faut toujours savoir tirer profit. Tout en pensant qu’il y a la loi et l’esprit de la loi, nous allons continuer de laisser passer ceux qui n’ont qu’une boite d’allumettes, Nous saurons désormais que, pour ne pas risquer presque de se faire tuer, il faut toujours respecter les règles de bonne conduite indispensables au bon fonctionnement du libre-service.
Ce qui ne nous empêche pas de nous demander si c'est bien au commande d'un caddie que Fanon a ouvert les yeux du Monde ? Est-ce avec la charte du bon consommateur que Césaire a mené son peuple au concept de la Négritude ? Est-ce les règles de bonne conduite au libre service qui ont inspiré à Glissant le Tout-monde ?
Monsieur, nous savons que vous ne lirez pas ces quelques mots, pas plus que vous n'avez lu les grands penseurs que nous venons de citer, car une intuition nous laisse vous supposer beaucoup plus adepte de nourriture que de lecture, c’est dommage. Mais, dimanche, alors que vous allez faire sortir votre caniche pour que l'on voie votre véhicule, si jamais nous vous rencontrons pratiquant le culte du caddie, d'être à votre place ne nous sera jamais flatteur. Aussi, nous vous céderons volontiers le tapis. Une question de principe.
Avec des gens comme vous, Les Damnés du caddie, les békés et leurs centres commerciaux ont encore de belles et riches années devant eux et la marche idéologique des révoltés du charriot n'est pas encore pour demain.
Térèz Léotin
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