Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL

En Martinique, des solutions agricoles émergent pour éliminer le chlordécone

Fany Fontan ("Reporterre")
En Martinique, des solutions agricoles émergent pour éliminer le chlordécone

En Martinique, des agriculteurs installés sur les terres contaminées au chlordécone cherchent des solutions pour faire pousser des fruits et légumes sains et améliorer l’état des sols afin d’augmenter la production locale.

Il faut grimper par la sinueuse route de la Trace pour arriver dans la commune du Morne-Rouge, située au nord de la Martinique et dominée par la montagne Pelée, que la nuée dévoile parfois. Fougères arborescentes, lianes, balisiers, bambous géants et autres exubérances tropicales abritent rivières et cascades et ombragent ce trajet verdoyant au cours duquel l’atmosphère, humide, se rafraîchit peu à peu.

Dans ce territoire vallonné, la forêt, défrichée par endroits, laisse place à de grandes étendues. Là, la richesse des sols volcaniques combinée à une forte pluviométrie et à la chaleur — certes plus modérée que dans les plaines — profitent à l’agriculture. Cette luxuriance masque une tragique réalité : en 2015, 10 000 hectares apparaissaient contaminés au chlordécone sur les 25 000 hectares de surface agricole utile que compte la Martinique [1].

Pesticide organochloré, le chlordécone a été autorisé sur les territoires français à partir de 1972 et utilisé à grande échelle jusqu’en 1993 dans les bananeraies antillaises pour lutter contre le charançon. Il était pourtant interdit en France depuis 1989. La culture de la banane et de la canne à sucre occupent aujourd’hui la majorité du foncier agricole de la Martinique. Des monocultures intensives qui, en plus d’entraver l’autosuffisance alimentaire de l’île, ont pollué durablement les sols. Il faudra environ sept cents ans pour que la molécule de ce pesticide organochloré disparaisse, si rien n’est fait. Bien que lourde et peu mobile, elle s’est répandue dans les cultures en aval des bananeraies et dans les rivières et nappes phréatiques, à cause du lessivage des sols par la pluie.

Plus de 90 % des Guadeloupéens et Martiniquais contaminés

Si les ouvriers agricoles qui ont épandu manuellement Képone et Curlone (ses noms commerciaux), sans contrôle des dosages, sont les premières victimes de ce produit cancérogène et perturbateur endocrinien, plus de 90 % des Guadeloupéens et des Martiniquais sont contaminés [2]. La Martinique détient de ce fait le record mondial du cancer de la prostate, avec près de 230 nouveaux cas pour 100 000 hommes chaque année.

Depuis le début des années 2000, pour être mises sur le marché, les denrées alimentaires végétales ou animales doivent présenter des contaminations inférieures ou égales à 20 microgrammes par kilogramme. L’alimentation est en effet la principale voie de contamination de la population. D’aucuns parlent d’un « empoisonnement toléré », considérant qu’il faudrait plutôt viser le zéro chlordécone. Mais puisque les Martiniquais ne peuvent se contenter de cultiver seulement les terres non-polluées, il leur faut développer des solutions pour produire une nourriture saine en terres contaminées.

La Montagne Pelée. Unsplash/Youri Germany

À Sainte-Cécile, à l’entrée du Morne-Rouge, François de Meillac a acquis en 2006 des terres qui avaient jadis servi à la culture de la banane. Si la concentration du chlordécone y diffère selon les parcelles, la molécule est omniprésente. Pour s’en affranchir, il développe la culture hors-sol, qui est aujourd’hui la solution technique souvent employée pour les cultures de tomates. Sont nées deux entreprises : Floral et Les Jardiniers du Nord.

Le fils de François, Arnaud de Meillac, n’avait pas prévu d’y travailler. Mais en 2011, après des études et diverses expériences professionnelles dans la finance réalisées à contre-cœur et plusieurs années de voyage, le fils a décidé de rejoindre son père dont les entreprises étaient mal en point. À une condition : les faire évoluer vers un modèle plus en adéquation avec ses convictions.

« L’utilisation massive de biocide a éradiqué une grande partie de la vie microbienne »

Parmi les 2 500 m2 de serres partagées avec l’horticulture, Les Jardiniers du Nord produisent essentiellement des tomates hors-sol dans un substrat composé de fibres de coco. La concentration en chlordécone n’atteint pas les fruits — sauf s’ils sont en contact avec le sol — car la molécule, lourde, ne remonte pas dans la sève. Ici, l’hydroponie répond donc à deux problématiques, microbienne et chimique. « L’utilisation massive de biocide (chlordécone mais aussi glyphosate) a éradiqué une grande partie de la vie microbienne du sol. S’est donc développée à la Martinique et dans de nombreux pays tropicaux une bactérie pathogène appelée Ralstonia Solanacearum », explique Arnaud de Meillac, aujourd’hui cogérant des entreprises.

Depuis son arrivée, savon noir, huiles essentielles et plantes répulsives ont remplacé les pesticides chimiques aux Jardiniers du Nord. Des hauts-parleurs accrochés en haut des serres diffusent deux à trois fois par jour, à heure précise, des protéodies. « Ce sont des mélodies spécifiques qui vont inhiber la protéine de certains organismes », dit-il. Distribuées sur le marché local de la grande distribution, les tomates sont estampillées « zéro chlordécone » (label créé en 2018) et ont le label haute valeur environnementale (HVE).

La transformation du modèle agricole ne se fait pas seulement à l’intérieur des serres. Celui qui n’est désormais plus un néo-agriculteur s’évertue à reconstituer un écosystème autour de ses terres en plantant dachines, passiflores et fruitiers pour rompre avec la tradition hygiéniste de désert sanitaire et faire revivre les sols. À terme, Arnaud de Meillac vise un retour en pleine terre mais sous abri.

L’agroforesterie pour dépolluer progressivement les sols

Par un chemin goudronné, on quitte les serres pour monter sur des terrains pentus, en lisière de forêt. Sur ces 5,5 hectares contaminés exploités par Le Jardin de la forêt, Arnaud de Meillac mise sur l’agroforesterie, « un système qui a une forte capacité de résilience et qui limite le lessivage des sols en cas de fortes pluies ». Son objectif est de « produire un maximum de fruits et de légumes sains pour la population locale ».

L’an dernier, il a tenté de dépolluer une parcelle sur laquelle il a planté de nombreux fruitiers et autres arbres endémiques. « Nous avons aussi développé des “biols” de micro-organismes forestiers à la diversité incroyable, puisés dans la forêt voisine. Nous espérions, en les inoculant dans le sol, qu’une de ces nombreuses souches casse la molécule du chlordécone et règle ainsi le problème de pollution pour nous et pour le reste des terres contaminées », résume l’agriculteur. Mais l’expérience n’a pas entièrement porté ses fruits : la molécule est toujours présente. « C’est un échec émotionnel car nous espérions bien participer à la réparation des sols en mettant en place cette biodiversité végétale et microbienne. »

Une canopée de Simarouba amara. CC BY-SA 3.0 / Wikimedia Commons / Smartse

À l’échec agronomique s’ajoute l’échec financier. Si les sols avaient été dépollués, le Jardin de la forêt aurait pu produire en trois à six mois des légumes racines (patates douces, ignames, manioc…), le temps que tous les fruitiers plantés sur la parcelle test, et qui donnent après trois à six ans, puissent prendre le relais. Mais ces légumes racines poussent dans la terre et sont donc très sensibles au chlordécone. La persistance de la molécule a rendu ce projet impossible.

Dilution de la pollution

L’expérience a tout de même démontré qu’en plantant diverses espèces d’arbres, Arnaud de Meillac et ses employés avaient mis en place le meilleur potentiel de décontamination naturelle et de refertilisation progressive des sols. Car si la molécule est toujours détectée dans les analyses de sol, sa concentration est plus faible qu’avant : « La matière organique du sol a été augmentée par les herbes, les feuilles, les branches pourries… Nous avons donc dilué la pollution. » Il a décidé d’appliquer ce modèle d’agroforesterie aux autres parcelles du Jardin de la forêt. Les analyses effectuées régulièrement, à sa charge, n’ont jamais détecté de traces de chlordécone dans ses fruits et légumes.

Après avoir élagué, défriché et préparé les sols avec la décomposition de végétaux coupés, Marine, Helio, Fanfan et Adjunga, ouvriers agricoles au Jardin de la forêt, viennent de planter en alternance des rangées de fruitiers, épices et bois blanc, piquets de glicirida sepium pour soutenir les lianes des passiflores et poivriers ainsi que des simarouba amara pour faire de l’ombrage. Une planification en trois temps : celui des cycles courts (six à neuf mois) comme la banane, la papaye, le maracudja (fruit de la passion), des cycles moyens (environ deux à cinq ans) comme le poivre, le cacao et la vanille et les arbres fruitiers, puis des cycles longs (trente ans) pour le bois d’œuvre avec le courbaril par exemple. Ainsi, Arnaud de Meillac espère non seulement que l’exploitation devienne rentable et reproductible mais surtout laisser une terre propre aux générations futures.

Commentaires

Véyative | 02/09/2021 - 07:33 :
Cela fait du bien de lire un tel article porteur d'espoir. Respect pour cet agriculteur et tous les autres aussi qui essaient de guérir la terre nourricière. Courage, car au final , que de satisfactions en perspective!

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.