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EN GUADELOUPE, CONTENEURS CONTRE PECHEURS

Par Martine Valo (Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), envoyée spéciale) www.lemonde.fr/
EN GUADELOUPE, CONTENEURS CONTRE PECHEURS

C’est un chantier d’une ampleur que la Guadeloupe n’a jamais connue. Les dragueuses sont entrées en action fin février . Elles s’activent 7 jours sur 7, 24  heures sur 24 sur le site de Jarry , dans la baie de Pointe -à-PitreDébut 2016 si tout va bien , l’île disposera de son grand terminal de conteneurs. Une infrastructure portuaire qui doit passer de 11,5 m à 16 m de tirant d’eau. Pour cela, il va falloir extraire sept millions de mètres cubes (m 3 ) de sédiments du fond de la mer.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/03/07/en-guadeloupe-conteneur...

 

La Guadeloupe semble atteinte à son tour par une cette impérieuse fièvre de construction qui s’est emparée des Caraïbes . En Jamaïque , à Cuba, partout l’on creuse, partout l’on agrandit les plates-formes de déchargement à l’approche de la mise en service , prévue en 2016, des nouvelles écluses du canal de Panama . Car celles-ci vont permettre l’ arrivée de méga porte-conteneurs dont les plus récents et les plus démesurés sont capables de transporter d’un coup 16 000 équivalents vingt pieds (EVP), autrement dit 16 000 «  boîtes » de 38,5 m 3 chacune .

Pointe-à-Pitre n’est pas sur les rangs pour accueillir ces mastodontes, mais ambitionne de recevoir la génération précédente qui devrait être réaffectée sur des lignes régionales . L’idée est d’au moins tripler le trafic annuel de marchandises de l’île, qui s’élevait en 2013 à 3,7 millions de tonnes, dont plus de la moitié en conteneurs (200 000 EVP). Le port veut pouvoir accueillir des navires de 5 000 EVP – deux fois plus gros que ceux faisant escale à Jarry actuellement –, puis de 12 000 EVP à partir de 2020.

« Atteinte directe aux milieux marins »

« Nous n’avons pas le choix, assure Yves Salaün, président du directoire de Guadeloupe Port Caraïbes. Nous devons suivre le mouvement général de développement , sinon nos marchandises passeront par d’autres ports et leur coût augmentera . » C’est en prédisant « une perte pour l’économie guadeloupéenne de 50 millions d’euros par an  » si les travaux n’étaient pas faits que l’ établissement public a convaincu les responsables politiques de la région et l’Etat de se lancer dans un investissement de 210 millions d’euros. Mais au prix d’une remise à plat d’un projet moins simple à réaliser que ses promoteurs ne l’ avaient cru initialement.

Les contrariétés ont débuté en octobre 2013, lorsque le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), qui dépend du ministère de l’écologie , a remis son avis sur ce grand chantier, sans doute le plus volumineux sur lequel il a eu à se prononcer jusqu’à présent . Sur les 7 millions de mètres cubes à draguer , seuls 630 000 m³ doivent être réutilisés en remblai, tout le reste devant être « clapé », autrement dit rejeté en mer à 10  kilomètres de la côte. Les rapporteurs de l’ Autorité environnementale se sont inquiétés de ces sédiments à la nature « pas clairement identifiée » , faute de prélèvements suffisants. Trois carottages ont cependant révélé la présence d’arsenic , de cuivre et de métaux lourds.

Le CGEDD a relevé, entre autres, « l’atteinte directe à des milieux marins d’un grand intérêt écologique » , l’impact du bruit, de la turbidité… Les risques vont être particulièrement élevés en mars et avril, au moment où les baleines à bosse et les grands dauphins viennent se reproduire près de l’île. Surtout, les rapporteurs se sont étonnés que le dossier public ne consacre pas une ligne à la Martinique voisine alors que celle-ci projette aussi d’étendre son terminal de porte-conteneurs, menaçant directement une douzaine d’hectares de récifs coralliens.

« Il s’agit d’un avis sévère, un peu décourageant , admet Yves Salaün. Mais grâce à lui, nous avons avancé.  » Le directeur de l’établissement public, arrivé à son poste en 2014, se livre à un mea culpa afin que l’on mesure les efforts accomplis depuis la première ébauche du projet, il y a cinq ans. « Petit à petit , on s’est rendu compte qu’on n’était pas à la hauteur de l’enjeu, qu’on était partis avec des compensations trop basses. »

Les premières opérations de transplantation d’un minimum de 4 150 colonies de coraux et 3 300 m² d’herbiers sains propices à la reproduction des tortues ont débuté en janvier, à la demande du préfet. Rien de tout cela n’était prévu avant que les services de l’Etat ne bataillent pour minimiser les dégâts du chantier.

Compensations financières

Tout au long de cette bataille , les pêcheurs de Guadeloupe ont joué les aiguillons. Il faut dire que le futur port va encore compliquer leur activité . Il leur est déjà interdit de travailler à moins de 500 mètres du rivage est de Basse-Terre , contaminé par le chlordécone – un insecticide déversé pendant des années sur les bananeraies. Ils doivent , en outre, faire face à l’ invasion du poisson -lion, un redoutable prédateur venu de l’ océan Indien . Et il leur faut à présent subir un immense nuage de boues de clapage, chargées en hydrocarbures et autres déchets de peintures de bateaux.

En octobre 2014 , la Guadeloupe accueillait la deuxième Conférence internationale sur la biodiversité dans les outre-mer européens. Les pêcheurs en ont profité pour défendre leur cause auprès de Nicolas Hulot, envoyé spécial du président de la République pour la protection de la planète. « Dans ce coin-là, nous prenons du vivaneau, de l’œil-de-bœuf, des grandes langoustines d’eau profonde, a plaidé Nicolas Diaz, secrétaire général du comité régional des pêches. La pêche ici, c’est 800 petits bateaux de moins de 12 m et 1 200  professionnels qui remontent 4 000 à 5 000 tonnes de poissons. Les travaux vont engendrer des tonnes de sédiments qui vont s’étaler sur au moins 70 km 2, asphyxier les fonds, envaser les plages touristiques du Gosier. Sans compter les mammifères marins qui vont souffrir aussi.  »

Deux jours plus tard, les pêcheurs en appelaient à la ministre de l’écologie en personne, qui s’est étonnée du développement concomitant des deux principaux ports des Antilles françaises. « C’est quand même curieux, cet argent engagé en même temps sur les deux ports, ces dégâts environnementaux… Les transporteurs risquent de faire jouer la concurrence. Et l’Union européenne a-t-elle accepté de cofinancer deux fois ?  », a interrogé Ségolène Royal. Sur la première tranche de travaux de Jarry évaluée à 87,7 millions d’euros, jusqu’en 2016, l’Europe apporte 18,7 millions.

Mi-janvier, les pêcheurs de Guadeloupe ont finalement obtenu des avancées : davantage d’analyses de sédiments, de surveillance écologique des fonds marins et… des compensations financières pour leur manque à gagner. Dans la foulée, ils se sont vu attribuer un siège au comité de pilotage installé le 4 février. Le préfet de région a pu y annoncer que les mesures de réduction, de suivi et de compensation de l’impact sur l’environnement s’élèveraient à 17 millions d’euros.

  Martine Valo (Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), envoyée spéciale)

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