Décédé dans un hôpital étasunien d'une leucémie à seulement 36 ans, Frantz Fanon ou plutôt Ibrahim Omar Fanon, patronyme figurant sur le passeport que lui avait attribué la Lybie, fit le voeu d'être enterré en terre algérienne aux côtés de ses frères moudjahidines.
Mais en 1961, l'Algérie n'était pas encore indépendante et la guerre de libération nationale faisait rage. La France avait installé deux barrières électrifiées de 30.000 watts entre les frontières du pays et ses deux voisins, le Maroc et la Tunisie afin d'empêcher l'arrivée d'armes et de combattants. La dépouille du Martinico-algérien arriva donc à Tunis et fut prise en charge par le GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne). Ce dernier la fit transporter dans un convoi encadré par des moudjahidines au sud de la Tunisie. Tout au long de la route Ibrahim Omar Fanon fut ovationné et le convoi arriva jusqu'à une forêt de chêne-liège centenaires, seul endroit de la frontière algéro-tunisienne où la France n'avait pu installer sa barrière électrifiée. L'objectif était d'inhumer selon le voeu qu'il avait exprimé l'auteur des Damnés de la terre, ouvrage qui venait d'être publié avec une retentissante préface de Jean-Paul Sartre.
L'opération était risquée, très risquée. Suicidaire même tout comme les infiltrations régulières de combattants algériens qui, en certains endroits, coupaient la barrière électrifiée à l'aide de grosses pinces, se faisant électrocuter mais permettant ainsi de le franchir, certes brièvement. Informée par ses espions de l'opération qui se préparait, la France fit bombarder au hasard, au napalm, pendant des jours, l'immense frondaison de la forêt de chêne-liège. Sans succès ! Le voeu le plus cher d'Omar Ibrahim Fanon fut exaucé : les moudjahidines réussirent à pénétrer en territoire algérien et à y inhumer son corps, à quelques centaines de mettre seulement de la frontière. Des combattants algériens perdirent cependant la vie au cours de l'opération.
Après l'indépendance de l'Algérie, trois ans plus tard, en 1965, le corps d'Omar Ibrahim Fanon fut récupéré et inhumé une seconde fois au cimetière des chouhada (martyrs) dans le village d'Aïn Kerma, à l'est du pays, dans la wilaya (département) d'El-Tarf, où il repose désormais. La photo de son inhumation qui illustre cet article est peu connue des Martiniquais. On y voit des Algériens, des Français ralliés au FLN (Front de Libération Nationale) ainsi que des combattants d'autres nationalités à une époque où l'internationalisme n'était pas un vain mot.
(Le détail de l'incroyable opération qui a consisté à faire traverser le cercueil de Fanon à travers la forêt de chêne-liège est racontée dans mon ouvrage, Frantz Fanon. L'Insurrection de l'âme publié chez Caraibéditions)...
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