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EN AUSTRALIE, LA COLERE DES ABORIGENES FACE AU « MEPRIS » DE LEUR CULTURE

Par Charlotte Chabas sur www.lemonde.fr
EN AUSTRALIE, LA COLERE DES ABORIGENES FACE AU « MEPRIS » DE LEUR CULTURE

« D'abord, ils ont volé nos enfants, maintenant ce sont nos maisons. » La banderole qui ouvrait le cortège de la ville de Perth, jeudi 19 mars 2015 en Australie, résumait des décennies de défiance de la communauté aborigène vis-à-vis des autorités du pays, à l'occasion du « Close the Gap Day » (« Le jour pour combler le fossé »), un rendez-vous annuel lancé par des associations de lutte pour l'égalité des droits. Une mobilisation d'autant plus amère qu'elle intervient quelques jours après un discours du premier ministre, Tony Abbott, qui s'est dit favorable à la fermeture, dans l'ouest du pays, de villages aborigènes en raison de leur coût pour la société australienne.
 

 

 

A l'appel de nombreuses associations, les drapeaux aborigènes noir, jaune et rouge – drapeau que son créateur a conçu comme un symbole qui « dérange » – ont fleuri par milliers dans les rues des villes australiennes. « Le gouvernement veut s'en prendre à la minorité la plus vulnérable du pays », expliquait Meriki Onus, organisateur de la manifestation de Melbourne, déplorant le « mépris envers ceux qui vivent là depuis le tout premier lever de soleil ». Quelque 670 000 Aborigènes vivent encore sur le territoire australien, soit 3 % de la population du pays.

 « Choix de vie »

A l'origine de cette colère, outre les conclusions du rapport annuel sur les inégalités entre les Aborigènes et le reste de la population, il y a le plan présenté en novembre par les autorités d'Australie-Occidentale. Celui-ci prévoit la fermeture des 150 plus petites communautés du territoire, jugées « non viables » par le premier ministre de l'Etat, qui s'estime incapable de leur fournir les « services essentiels », à savoir l'électricité, le gaz, l'eau, le logement, le transport, la santé et l'éducation. « Nous ne pouvons pas éternellement subventionner des choix de vie si ces choix de vie ne permettent pas [à leurs bénéficiaires] de participer pleinement à la société australienne », a justifié le premier ministre, Tony Abbott.

Selon les dernières données du bureau des statistiques, qui datent de 2011, 69 665 Aborigènes vivent en Australie occidentale, dont 12 000 dans les 270 communautés les plus isolées, et 1 309 dans les plus petits villages menacés de fermeture. Les associations de défense des droits des Aborigènes évoquent pour leur part 20 000 personnes délogées par ce plan, arguant du fait que beaucoup d'habitants migrent durant certaines saisons, rendant difficile tout recensement.

Mais au-delà de la bataille des chiffres, c'est surtout le terme de « choix de vie » qui a provoqué la colère de la communauté. Pour Tammy Solonec, responsable des « questions indigènes » pour l'ONG Amnesty International, la formule montre « l'ignorance » des pouvoirs publics sur la question aborigène. « Vivre dans des villages reculés n'est pas une question de choix, c'est l'essence même de la culture aborigène, qui implique une connexion profonde avec la terre où l'on naît, où l'on vit, avec laquelle un lien spirituel ineffable s'est créé », rappelle la responsable.

Cette philosophie se retrouvait sur les pancartes des manifestants, jeudi, sous la forme d'une citation de Tom Dystra, représentant de la communauté : « Nous cultivons notre terre, mais d'une manière différente de l'homme blanc. Nous nous efforçons de vivre avec la terre, tandis qu'il s'évertue à vivre d'elle ». Ce rapport à la terre est d'ailleurs inscrit au sein même des lois du « Native Title Act », qui régissent depuis 1993 les droits des Aborigènes en Australie.

« Si on les force à quitter leur village, ils risquent de perdre leur droit même à faire partie de la communauté », met en garde Tammy Solonec. Même le conseiller aux affaires indigènes de Tony Abbott, Warren Mundine, lui-même Aborigène, avait affirmé en novembre que fermer des communautés revenait à instaurer un « apartheid au niveau des infrastructures ».

Une « méconnaissance de l'importance des obligations culturelles » qui dénote, plus globalement, d'un « mépris affiché de plus en plus ouvertement par le gouvernement », selon Ben Wyatt, porte-parole de l'opposition sur la minorité aborigène.

Depuis sa prise de pouvoir en 2013, Tony Abbott, qui a pourtant décidé symboliquement d'installer son bureau une semaine par an dans une communauté, a multiplié les déclarations remettant en cause la contribution des Aborigènes dans la culture australienne. Le locataire du Lodge de Canberra avait ainsi décrit l'Australie avant l'arrivée de la flotte britannique en 1788 comme un territoire « sans rien d'autre que de la nature sauvage », fermant ainsi les yeux sur la mort de dizaines de milliers d'Aborigènes tués par les colons britanniques à leur arrivée. Le premier ministre avait également asséné que 1788 était « l'instant fondateur de l'Histoire du continent australien ». Selon les estimations scientifiques, les premiers peuplements aborigènes remontent au moins à 40 000 ans.

Le « précédent traumatique » d'Oombulgurri

Si le premier ministre de l'Etat d'Australie-Occidentale a tenté de calmer la colère des 2 000 manifestants rassemblés jeudi devant le parlement de Perth, son message est resté identique. « Ma préoccupation est d'assurer à chaque enfant la garantie de pouvoir fréquenter une école, de vivre dans des conditions sûres », a expliqué Colin Barnett, qui a affirmé vouloir ainsi « régler les dysfonctionnements de ces communautés, comme la consommation de drogue ou d'alcool ».

Un discours accueilli par des huées, alors que les opposants au plan dénoncent une mesure qui fragilisera encore davantage des populations déjà précaires. « Cela obligera les habitants à migrer dans les banlieues des villes, où ils n'auront pas de logement et finiront, faute d'emploi, par faire la manche et se tourner vers l'alcool » résume Rodney Dillon, un Aborigène travaillant pour Amnesty International, qui craint également une vague de suicides parmi les plus âgés.

Les détracteurs du projet rappellent ainsi le cas de la communauté d'Oombulgurri, dans l'est de la région du Kimberley, en Australie-Occidentale, que les autorités avaient progressivement fermée en 2011, la considérant « non viable » en raison de plusieurs cas de violences et d'abus sexuels. Après avoir fermé la clinique, l'école et le commissariat de cette communauté de 107 habitants, les pouvoirs publics avaient procédé à l'expulsion des dix personnes qui avaient choisi de rester malgré la coupure de l'eau et de l'électricité, les autorisant seulement à prendre avec eux un carton avec leurs affaires personnelles.

Selon Tammy Solonec d'Amnesty International, de nombreux anciens habitants, éparpillés dans la région, sont toujours sans logement ou à la charge de leur famille trois ans après la fermeture, et les enfants sont davantage déscolarisés. Un « précédent traumatique », d'autant que le lieu est important pour la culture aborigène en raison du massacre qui y a été perpétré en 1926.

En Australie, huit Aborigènes sur dix n'ont pas accès au marché du travail.

Espérance de vie inférieure de dix ans

Reste que le constat de la précarité des habitants de ces villages, souvent très peu peuplés et difficile d'accès, est fondé. Selon les données de l'Association médicale australienne, l'espérance de vie des Aborigènes est inférieure de dix ans à celle des Australiens, tandis que le taux de mortalité des enfants aborigènes est deux fois plus élevé que dans le reste de la population. La violence gangrène également l'ethnie, 25 % de la population pénitentiaire en Australie étant aborigène – 42 % en Australie-Occidentale.

Le financement de ces villages, où la plupart des habitants survivent grâce aux aides sociales, provoque régulièrement le débat dans le pays, alors que de nombreux Australiens refusent de payer des impôts pour une culture qu'ils jugent obsolète et inadaptée au monde actuel.

Pour Ben Wyatt, élu travailliste spécialiste de la question aborigène, « il y a un large consensus, y compris au sein de la communauté, pour constater qu'il faut une réforme drastique de la législation et une révision des priorités pour les Aborigènes. » Mais, selon lui, ces réformes doivent se faire « en partenariat » avec les responsables de ces populations et non être imposés « sans consultation, comme c'est le cas actuellement ». Jeudi, alors que le Parlement de l'Australie-Occidentale se déchirait une nouvelle fois sur le sujet, l'élu, ainsi que plusieurs députés de la communauté aborigène, ont quitté le bâtiment en plein débat pour signifier leur soutien aux manifestants.

  Charlotte Chabas

Journaliste au Monde

 

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