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EDUCATION ET PRISE DE DÉCISION : HEURTS ET LEURRES DU FÉMININ DANS L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR EN AFRIQUE

Par Cécile Dolisane-Ebosse
EDUCATION ET PRISE DE DÉCISION : HEURTS ET LEURRES DU FÉMININ DANS L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR EN AFRIQUE




Introduction :

Les ambiguïtés du genre illustrées à travers la sous- représentation du féminin dans la participation dans la vie socio-politique ont poussé Fatou Sow et Amina Mama d'exiger l'engendrement des sciences sociales. Ce qui lève un pan de voile sur l'hypothétique équité qui est un chemin long à parcourir. La société n'étant que la résultante de schèmes organisationnels préexistants, les sciences sociales par le biais d'une réflexion théorique et l'élaboration d'autres outils conceptuels en rapport avec la déconstruction chère à Jacques Derrida, doivent inventer une contre mythologie à même de restituer l'équilibre rompu avec la domination masculine millénariste amplifiée par les structures coloniales jacobines et dichotomiques. Autrement dit, l'éternel féminin est un pur subterfuge social et la réappropriation des libertés féminines passe par une investigation épistémologique approfondie et totalisante. C'est dire que le savoir acquis doit être à même de féconder le pouvoir et partant, l'entrée massive des femmes dans les sphères décisionnelles. En effet, cette rareté du féminin dans la recherche universitaire n'a pas uniquement retenu l'attention du genre concerné. Dans un souci du respect de la différence et dans la quête de l'équité des genres, le chercheur gambien Ebrima Sall a réaffirmé cette exigence en publiant un ouvrage fort significatif et révélateur des manquements sur le genre dans le système universitaire intitulé : Women in Academia. Gender and Academic freedom in Africa.

Cette réflexion vise à définir l'image et la place de la femme dans l'enseignement supérieur afin de mettre en place les stratégies permettant de surmonter les obstacles persistants sur la marginalisation à partir d'une orientation conceptuelle solide, du matériau épistémologique approprié aux réalités africaines. Il s'agit de mettre à nu des blocages féminins consécutifs aux écueils et pièges de la société postcoloniale encore fortement androcentrée. Cet état des lieux qui sera effectué de manière diachronique mais également sous-tendue par un plan dialectique, aura pour finalité de renforcer la notoriété des femmes dans la recherche scientifique pour l'harmonie des deux sexes et l'émancipation de l'ensemble du continent.

L'université, haut lieu de construction d'un discours théorique et savant est un réel tremplin pour la correction de ces inégalités criardes dans la production épistémique en vue d'une participation effective de la femme dans la vie sociopolitique en tant que citoyenne à part entière. Mais on ne saurait rechercher cet équilibre sans tenir compte des pesanteurs socioculturelles et psychologiques, de la perception historique de l'éducation féminine. Aussi la chercheuse africaine ne doit-elle pas éluder les estampilles coloniales, c'est-à-dire qu'elle doit tenir compte des paradigmes tels que : le sexe, la race et la classe soulignés par la philosophe africaine-américaine Angela Devis et les théoriciennes Alice Walker avec son « Womanism ». Concept enrichi par Patricia Hill Collins et Beverly Guy-Sheftall sous son chapitre africain-Americain et soutenu par Oyonkore Oyewumi et Molara Ogundipe-Leslie sous l'angle africain. Une meilleure élaboration d'une démarche conceptuelle passe par la connaissance et la prise en compte de la donne coloniale avec ses avatars. La prise de parole des « subalternes » se manifeste par une théorie de genre postcoloniale.

 

A- Le poids de l'histoire : les pesanteurs socioculturelle et psychologiques : Les heurts

1. La femme en que force productrice et reproductrice dans la société traditionnelle

 

La société précoloniale décrite par Madina Ly et Achiola O Pala, présente la femme comme actrice et vecteur du développement de la vie sociale. Les arts dans toute sa splendeur et les talents de guérisseuse étaient l'apanage de « l'autre moitie du ciel ». Elle était productrice de civilisation, donc, garante et permanence de la culture. Ce savoir lui était transmis au cours des initiations et des jeux érotiques lorsqu'il s'agissait de l'éducation sexuelle. La femme s'est toujours illustrée par son savoir- faire, savoir- dire et son savoir- être. Autrement dit, la promotion des études sur la situation la femme africaine précoloniale s'avère impérieuse comme une béquille- miroir dans laquelle devrait s'arrimer la femme moderne désemparée.

 

2. Paradoxes et contradictions des nouvelles valeurs

La pénétration européenne a renforcé un certain nombre de préjugés. Car les colons qui ont trouvé une société caractérisée par le respect des Anciens et un penchant pour le harem, bref, par une gérontocratie, se sont livrés aux amalgames et aux confusions qui auraient plus tard des répercussions sur la femme africaine. Elle fut considérée comme une esclave, corvéable à merci aux maternités avilissantes. Sans rôle public manifeste, son statut et son bonheur étaient auprès de son mari, d'où l ‘expression, « une femme sans mari n'est rien ». Partant de cette approche réductrice et routinière de sa situation, l'école en tant que lieu de production du savoir était sans objet. C'est la raison pour laquelle son entrée à l'école fut tardive et ceci justifie encore en partie, sa sous- représentation dans les sphères du pouvoir ou dans les formations de haut niveau.

 

3. Les pesanteurs socio-psychologiques de la femme elle-même et l'environnement

• L'i nhibition et La peur des frustrations sociales : le spectre du célibat accolé à la femme intellectuelle. Plusieurs jeunes filles ont peur de faire de longues études à cause de ce lavage de cerveau.

• Conditionnement psychologique généré par la violence symbolique : D'autres sont forcées de changer de série, le motif étant que la mécanique ou l'électricité par exemple s'apparente au « garçon marqué ».

• Les c omplexes et la culpabilité de la jeune fille. En fin de compte, la créativité féminine peut être paralysée. L'éducation traditionnelle basée sur un communautarisme excessif dans laquelle sont moulées certaines Africaines influent sur leurs choix aussi bien sur le plan social que dans la sphère privée. Il y a manifestement dans ces manœuvres, un contrôle de la sexualité féminine, mieux, un diktat dans la définition même de son identité.

 

4. Une scolarisation tardive et la sous- représentation dans les sphères du savoir et du pouvoir

Dans certaines contrées africaines souvent rurales ou fortement islamisées, la femme reste encore dans l'obscurantisme la plus abjecte car les estampilles coloniales persistent. Dans le monde bantou fortement christianisé, les religieuses européennes apprenaient aux jeunes filles les rudiments d'une alphabétisation ordinaire afin de mieux assumer leur rôle de mère et d'épouse. Cette formation précaire était dans le prolongement de leurs activités domestiques. C'est dans ce sens qu'il est fondé de reconnaître qu'aujourd'hui, des progrès notoires ont été observés concernant l'accès des femmes à l'enseignement supérieur bien que divers obstacles socio-économiques, culturels et politiques continuent à empêcher leur plein succès et leur intégration effective dans la recherche de haut niveau.

 

B- Perspective Genre : politique et programme de la formation supérieure : un leurre

 

Lorsqu'on observe la configuration de l'enseignement supérieur au Cameroun par exemple, l'on observe que les effectifs de filles sont pléthoriques au premier cycle dans les filières littéraires et en sciences sociales, excepté, les sciences politiques option relations internationales ou en diplomatie.

 

1 . Le sexisme dans l'orientation : la sous représentation dans les filières scientifiques

La sexuation des filières ainsi que le choix des filières courtes sont préjudiciables à la femme puisqu'elle réduit ses chances. Or, toute formation doit inexorablement déboucher sur la recherche d'un emploi. Le savoir doit alors aboutir à un développement durable et à l'exercice du pouvoir. Or ces blocages confortés par la société conventionnelle phallocratique pèsent lourd dans le choix d'un métier de qualité. En fait, très peu de femmes accèdent au troisième cycle. Se hisser à ce state dans l'enseignement supérieur leur reste problématique.

 

2. La discrimination dans le financement des études supérieures des filles

Certaines familles refusent de financer les études prolongées de leurs filles. Ce qui n'est pas le cas pour les garçons qui reçoivent aides et encouragements. Conséquence, les femmes enseignantes du supérieur sont une portion congrue et leur nombre presque insignifiant dans les filières scientifiques réputées prestigieuses.

 

C- Education et prise de décision : Quelques propositions pour un système équitable et non discriminatoire dans l'enseignement supérieur

 

1. Le changement des mentalités

Dans l'imagerie populaire, qu'il s'agisse de la femme intellectuelle ou de celle du peuple, la même configuration des stéréotypes sexistes persiste. L'investissement à long terme sur une femme (la possession du savoir) est perçu comme sans objet. Sous cet angle, l'on remarque amplement une phénoménologie sexiste qui résiste à tous les mécanismes déployés par la législation pour « défaire le machisme » tant ses variables, ses signifiants sont bien cramponnés dans les superstructures socio-culturelles. Autrement dit, la société phallocratique a déjà consolidé un schéma préétabli qui semble exprimer un pacte symbolique avec le destin de la femme nonobstant les postes importants qu'elle gagne au prix d'une bataille acharnée. C'est dire que la dimension psychologique de la libération ne doit pas être amoindrie par les femmes intellectuelles. Celles-ci doivent elles- mêmes éduquer la famille, la société et les institutions de l'aspect psycho- affectif de l'épanouissement féminin.

2. La volonté politique

• l'état doit encourager les candidatures féminines comme enseignantes dans le supérieur

• Le gouvernement doit offrir les bourses de « l'excellence scientifique féminine » en vue d'inciter les filles à s'orienter vers les dites filières.

3 . La responsabilité des instances éducatives

Les instances scolaires doivent sensibiliser les parents sur l'équité des genres afin que les parents cessent de privilégier les garçons dans l'accès au savoir de haut niveau et inciter les filles brillantes ou excellant dans les matières dit masculines, à continuer leurs études tout en mettant l'accent sur l'éducation sexuelle.

• Sur le plan épistémologique, une réflexion théorique doit être menée par les chercheurs afin que la fécondité biologique des femmes se mue en une fertilité idéelle et que la femme redevienne créatrice des savoirs lumineux. Pour cela, la création des écoles doctorales, des chaires, des unités de recherche en études de genre s'impose avec acuité dans l'ensemble des universités africaines. La structuration d'une unité de recherche crédible peut pousser les étudiants à soutenir des mémoires, contribuant ainsi à vulgariser ces études. Progressivement, l'étudiant- chercheur se familiarisera à la recherche bibliographique sur le genre mais aussi à la documentation informatisée.

• L'importance des TIC dans les politiques et programmes genre. Les nouvelles technologies de l'information et son corollaire, l'outil informatique, fenêtre ouverte au monde sont une source inépuisable d'informations capable de donner aux femmes, une assise au monde dans l'approfondissement de leurs recherches.

• Le lobby féminin dans les instances de décision des ministères en rapport avec l'éducation s'avère impérieuse. Pour l'avancement de la société, une pression pour une meilleure visibilité s'avère nécessaire. Le lobby doit exiger la rénovation du discours sur les rapports sociaux de sexe par l'éducation du masculin, en inscrivant « l'approche genre » dans tous les domaines tout en veillant à son application. Ce groupe de pression doit proposer la mise en place des structures d'encouragement de la jeune fille. Il s'agit de gommer progressivement les inégalités postcoloniales persistances dans la production du savoir.

 

Conclusion

L'éducation féminine dans l'enseignement supérieur reste embryonnaire mais prometteuse. Car l'école qui, autrefois, visait à maintenir la femme dans le joug patriarcal, la reléguant au bas de l'échelle sociale, ne la permettant pas de renforcer ses capacités et à suffisamment drainer les revenus, se métamorphose en une éducation productrice d'idées émancipatrices du continent. L'épistémologie holistique novatrice, en d'autres termes, l'identité, la création et la différence nous aide à déceler les obstacles qui entravent la percée féminine. Cet outil conceptuel qui intègre la résistance au pouvoir phallocratique nous amène à penser qu'il faut démocratiser les filières en privilégiant le mérite tout en poursuivant les efforts pour éliminer toutes les stéréotypes liés au genre dans l'enseignement supérieur. Néanmoins, c'est en occupant les postes décisionnels que les femmes travailleront efficacement à dévier les pièges politiques et sociaux qui sont à l'origine de leur sous- représentation et, en particulier, à renforcer leur intervention active.

En fait, quelques progrès méritent d'être soulignés. Le ministère de l'enseignement supérieur camerounais octroie des bourses aux catégories vulnérables et aux femmes scientifiques mais cela reste insuffisant. C'est dans cette optique que les institutions comme le FAWE, l'UNESCO et le CODESRIA sont à encourager pour les efforts déployés dans la promotion de l'équité des genres dans toutes les structures et en particulier dans l'enseignement supérieur, temple du savoir. Aussi, espérons- nous que les réflexions émises lors de cet institut qui vient à point nommer, tenteront d'améliorer le sort des jeunes filles et celui des enseignantes du supérieur avec des statistiques fiables sur l'état actuel des avancées des droits des femmes à « l'école pour tous ».

 

 

*En Fulbright Senior Scholar à Emory University Atlanta, Dr Cécile Dolisane-Ebossè est spécialiste des littératures africaines et antillaises et des Etudes féminines et du genre et enseigne à l'université de Yaoundé I et à l'Ecole normale supérieure. Sa thèse (1998) s'intitulait: “L'image de la femme dans la littérature camerounaise: cas de Mongo Beti, F. Bebey, L. Dooh-Bunya et Werewere Liking”. Elle est également titulaire d'un DEA en science politique “le processus démocratique au Cameroun: mythe ou réalité”(1993). Ses nouvelles aires de recherche s'acheminent vers les questions d'identité, les nouveaux cosmopolitismes ainsi que les mythes et les rites féminins en Afrique noire.

 


Bibliographie sommaire

 

1. Ouvrages et articles théoriques sur le genre en général et en Afrique en particulier

 

Butler, Judith, Défaire le genre , Paris, Editions Amsterdam, 2006

Cixous, Hélène. « Le rire de la Méduse » , Paris, L'Arc N° 45, 1975.

Collectif Féminisme(s) “Penser la pluralité” Cahiers du Genre n° 39, Paris, l'Harmattan, 2005.

Collectif femmes et changement en Afrique noire, Paris, L'Harmattan, 1999. Vol I& II.

Davis, Angela Yvonne. Women, Race, and Class , New York , Random House, 1982.

Diouf Mbaye, « Culture et développement: le plaidoyer du savoir dans la littérature féminine

africaine », in colloque sur le développement durable, Ouagadougou, juillet 2004.

« Enjeux » Savoirs et pouvoirs : l'éducation en Afrique, N° spécial, Yaoundé, 2007.

Gueye Medoune, « La question du féminisme chez Mariama Bâ et Aminata Sow fall » in French Review . Vol 72, n°2, 1998, PP. 308-319.

Hill Collins, Patricia. Black feminist thought: knowledge, consciousness, and the politics of empowerment. Perspectives of gender ; v.2. Boston ; unwin Hyman, 1990

Kohrs-Amissah, Edith, Aspects of Feminism and Gender in the Novels of Three African Women Writers , Heidelberg , Books on African Studies, 90pp

Sœur Marie‑André, La femme noire dans la société africaine, éd. Bloud et Gay, 1940.

Walker, Alice , In search of our mother, Gardens : Womanist prose: San Diego , New York , London : Harcourt Brace Jovanovich, 1984.

 

2. Ouvrages sur le genre dans l'enseignement supérieur

 

Bakare-Yusuf, Bibi, African gender and scholarship: Concepts, Methodologies and Paradigms, Dakar , Codesria

Imam, Ayesha et Mama, Amina et Sow Fatou, Sexe, genre et société : Engendrer les sciences sociales, Dakar, Codesria, 1997.

Sall Ebrima, Women in Academia. Gender and Academic freedom in Africa, Dakar , Codesria, 2000.

 

3. Webographie

www.unesco . Gender in higher education

www.fawe.org

www.assosiation des universites africaines.org

 


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