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DU KURDISTAN A LA CATALOGNE, ENCORE LE DROIT DES PEUPLES.

Raphaël CONSTANT
DU KURDISTAN A LA CATALOGNE, ENCORE LE DROIT DES PEUPLES.

   Au mois de septembre dernier, j’ai écrit un article sur le droit à l’autodétermination au travers de deux cas d’actualité, le Kurdistan et la Catalogne. Dans les deux cas, des pouvoirs locaux avaient mis en place des référendum d’autodétermination. Dans les deux cas, les pouvoirs centraux (Irak et Espagne) avaient contesté la validité de ces consultations au nom de leur constitution centraliste niant l’existence des peuples concernés et donc leur droit à la secession. Diplomatiquement et politiquement, il faut bien admettre que Bagdad et Madrid ont réussi à canaliser ces mouvements secessionistes.

   En ce mois de janvier 2017, l’actualité remet à l’ordre du jour ces deux peuples et cela mérite quelques commentaires et explications.

   L’offensive turque en Syrie

   En premier lieu, on ne peut comprendre l’offensive menée actuellement par la Turquie au nord de la Syrie si on fait l’impasse sur la question kurde. L’histoire du peuple kurde est passionnate. Sans être exhaustif, les mentions historiques faisant état de l’existence d’un peuple kurde remonte au XIième siècle. A sa naissance, ce peuple devait déjà faire face à des puissances opposées à son émancipation et pas n’importe lesquels : les empires byzantin, perse et musulman. Le peuple kurde a grandi dans cette adversité permanente devenant un peuple de guerriers de montagne. Une personne aussi légendaire que Saladin, le tombeur de Jérusalem en 1187, était d’origine kurde. En grande majorité, les kurdes se sont convertis à l’islam en optant pour une vision assez tolérante de cette religion. Les kurdes ont été à l’amorce de la création de l’empire ottoman. C’est au sein de ce dernier, véritable mosaique de peuples divers qu’il s’est épanoui jusqu’à sa disparition en 1918. Dans le cadre de la première guerre mondiale, l’empire ottoman avait fait le mauvais choix en s’alliant à l’Allemagne. Il allait le payer par son démembrement. 

   Historiquement, on fut à deux doigts aux lendemains de la « grande guerre » de voir (enfin) la création d’un état kurde. Le Chef du parti kurde, Chérif Pacha, obtint le 10 août 1920 la signature du Traité de Sèvres actant la création d’une Arménie et d’un Kurdistan à l’est de la Turquie, au nord de la Syrie et de l’irak et à l’est de l’Iran. Néanmoins sur le terrain, les troupes du leader turc  Musatafa Kemal battront tant les arméniens, victime du premier génocide du siècle, que les kurdes. Opposés à ce démembrement, la Turquie, en 1923 à Lausanne, obtiet la remise en cause de l’application du Traité de Sèvres et son oubli.

   Depuis, on peut dire que le peuple kurde est le plus maudit sur terre même s’il a été rejoint dans cette position dramatique en 1948 par les palestinien. En effet, les kurdes constituent le seul peuple au monde à devoir se battre en même temps contre quatre états contestant leur droit à la constitution d’un état national : l’Iran, l’Irak, la Syrie et la Turquie.

   Au lendemain de la seconde guerre mondiale, un état kurde, la République de Mahabad, a vu le jour en Iran. Mais de tendance communiste, l’occident et l’Iran vont l’écraser au boit de 11 mois. Le PDKI, créé en 1945,  (Parti Démocratique du Kurdistan -Iran) va continuer à se battre encore aujourd’hui en Iran contre Téhéran. 

   En Irak, la lutte va se concentrer avec à sa tête un personnage légendaire, Mustafa Barzani mais en 1975, ce mouvement de résistance, avec des combattants nommés pershmergas, mené par le PDK (Parti Démocratique du Kurdistan), sera battu par l’armée de Saddam Hussein (dans des conditions dramatiques car avec l’usage d’armes chimiques). 

   En 1991, un phénomène extérieur remet en scène le mouvemen kurde en Irak. L’invasion du Koweit par l’Irak baassiste entraîne une réplique occidentale. Si Bush (père) fait le choix de ne pas se rendre à Bagdad, l’ONU décide, à la demande de la France Mitterrand (fortement influencé par son épouse qui est une militante pro-kurde de longue date) de créer au nord de l’Irak une zone de 40.000 km2 regroupant une large majorité de kurde. De fait depuis cette période, et même après l’invasion américaine de 2001, ce territoire est quasiment indépendant, même si, comme en septembre dernier, on conteste cette réalité sur le plan diplomatique.

   En Turquie et en Syrie, à compter de 1978, un nouveau parti, le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) dirigé par Abdullah Öcalan va commencer une lutte armée de plus en plus importante.

   Si sur le plan iranien, la lutte armée du PDKI a été relancée en 2016 avec un rapport de force nettement favorable à l’Iran, c’est sur le flanc turc, avec le PKK, que le combat kurde est le plus vif. Le niveau de la repression anti kurde en Turquie atteint des niveaux impressionnants (à titre de simple exemple, même des députés kurdes régulièrement élus sont interdits de siéger et emprisonnés pour mettre en cause « l’unité nationale ») et ceci avant même l’arrivée de Erdogan au pouvoir. A l’exception de la gauche non social-démocrate toutes les forces politiques de Turquie sont arcboutées contre le nationalisme kurde en considérant que la création d’une Kurdistan affaiblirait l’influence turque. Erdogan dont le modèe est l’empire ottoman a renforcé cette politique. A. Ocalan est emprisonné depuis 1999 et avec le leader du sentier lumineux au Pérou, Abimael Guzman, il doit être le prisonnier politique le plus surveillé au monde. Il a toujours refusé de renoncer à la lutte armée en dépit de promesses de libération d’Ankara. Aujourd’hui, depuis le coup d’état d’Erdogan, l’essentiel de l’opposition au pouvoir de cet islamiste dit modéré est le mouvement kurde. 

   Comme dit ci-dessus, le PKK rayonne sur la Turquie et la Syrie. La branche du PKK dans ce dernier pays s’appelle le PYD (Parti de l’Union Démocratique), même s’il existe un débat sur son degré d’autonomie. Dans le cadre de la guerre civile en Syrie, le PYD a joué un role charnière refusant de s’allier à l’opposition pro-occidentale anti Assad (ASL) ou aux djihadistes d’EI ou d’Al Qaida. Extrémement présent sur le terrain au nord de la Syrie, le PYD est dotée d’une structure armée YPG (Unités de Protection du Peuple) extrèmement efficace et compétente. Si efficace que tant les USA que les russes vont leur demander de participer aux combats de reconquête des territoires occupés par l’Etat Islamiste. En passant, il est assez curieux de constater que ce sont les kurdes qui ont été, tant en Irak qu’en Syrie, l’épine dorsale de la lutte contre Daech.  

   Sans entrer dans le détail, en 2016, le PYD, en jouant sur les contradictions entre tous les autres acteurs intérieurs ou extérieurs à la guerre civile syrienne et son rôle militaire primordiale, a réussi (comme le PDK en 1991 au nord de l’Irak) à créer une zone à la frontière turco-syrienne qui est devenu un état dans l’état à la barbe de Damas et d’Ankara.

   Le clan Assad n’ayant pas, en tous les cas à l’époque, les moyens d’occuper cette partie du pays, il a préfèré que le PYG le fasse plutôt que l’opposition pro-occidentale, les djihadistes ou même la Turquie. D’autant qu’officiellement, le PYD est d’accord pour un état syrien fédéral.

   La structure étatique créée par le PYD s’appelle le Rojava. Dans la région, il est extrèmement original. D’une part, les femmes y ont une place prépondérante, à faire mourir de honte les machistes adeptes d’un sexe faible devant rester à la maison. Ce n’est pas tout. Le PYD a organisé le Rojava en municipalités déconcentrées avec un confédéralisme démocratique issu des écrits de Murray Bookchin, militant libertaire américain et fondateur de l’écologie socialedécédé en 2006 ! 

   En bref, le Rojava devient inquiétant pour tout le monde dans la région. D’autant que si cette structure se maintient, ce sera une formidable base d’appui d’une part pour le PKK et la gauche en Turquie et d’autre part pour les autres forces démocratiques dans la région.

   Ceci explique l’offensive turque. Erdogan veut éradiquer tant le mouvement kurde que l’exemple démocratique que représente le Rojava. Et c’est ce qui explique que les états occidentaux, avec leur cynisme habituel, particulièrement la France de Macron et les USA de Trump, parfaitement unis contrairement à ce que raconte la grande presse, acceptent cette intervention militaire qui viole le droit international car en l’état de la géographie politique de la région cette zone est un territoire syrien et pas du tout turc (Erdogan prétend que cette intervention est fondé sur le droit de suite, concept juridique réel mais totalement inefficient en l’état). 

   Damas a d’ailleurs condamné cette intervention. La Russie joue un rôle pour le moins ambigue. Elle est devenue l’alliée de la Turquie. Il est clair qu’elle a retiré de la zone ses conseillers militaires (ceux qui étaient venus aider les YPG contre Daech !) pour ne pas s’opposer à l’offensive turque comme elle n’a pas empêché les avions turcs de bombarder des populations civiles alors qu’elle contrôle l’espace aérien de cette zone. Mais, dans le même temps, la Russie, pour la première fois, a invité à Sotchi, le PYD pour discuter de l’avenir de la Syrie et son projet confédéral.

   Contrairement a ce qu’on pourrait laisser penser ce long rappel, cela ne nous éloigne pas de la question du droit à l’autodétermination. Au contraire, il faut vraiment saluer l’imagination et la créativité des militants kurdes qui, sur quatre fronts, réussissent, depuis près d’un siècle, à maintenir leur combat pour l’émancipation.

   Quand on analyse cela et qu’on entend nos politiciens martiniquais se plaindre que le peuple « n’est pas à la hauteur » pour justifier leur pusillanité, cela laisse songeur.

   En Catalogne, Madrid espère toujours contourner la question nationale

   En Catalogne, la fin du mois de janvier risque d’être pour le moins à rebondissement.

   Je rappelle que les élections de décembre 2017 ont vu une majorité d’élus indépendantistes être élue, 70 (34 du PdC, 32 de l’ERC et 4 de la CAU) sur 135. En toute logique, le parlement a élu un président indépendantiste, Roger Torrent, le maire de la ville de Sierra de Ter en Gerone. Il est agé de 38 ans et représente la nouvelle garde du nationalisme catalan. Torrent est membre de l’ERC (gauche républicaine).

   L’élection faisait peu de doute même si les espagnolistes ont tenté jusqu’au bout de la remettre en cause. Il faut préciser que sur les 70 élus indépendantistes, huit ne peuvent siéger. Trois sont encore en prison et cinq, sous le coup de mandats d’arrêt espagnols, sont en exil en Belgique. Mais le Tribunal Suprême tout en refusant de libérer trois des plus importants dirigeants indépendantistes (le leader de l’ERC, le président de l’ANC et celui d’Omnium) les a autorisés à donner mandat à d’autres élus pour participer au vote. Quant aux cinq exilés, ils n’ont pu participer au scrutin. Ainsi, les indépendantistes ne disposant en fait que de 65 vois sur 130, les « espagnolistes » espéraient pouvoir bloquer l’élection d’un président issu de leur rang. La manœuvre n’a pas marché du fait de la décision de s’abstenir des huit élus de Podemos. C’est donc avec 65 voix contre 56 que R. Torrent a été élu.

   Cette élection résulte d’un accord passé entre la droite et la gauche nationaliste. Là aussi, de nombreuses manœuvres et pression de Madrid ont été mises en place pour empêcher une nouvelle entente entre les trois courants indépendantistes. Un accord a néanmoins pu être signé à la veille de la rentrée du Parlement. Il est guidé par une démarche très simple, mettre à bas la gestion directe par Madrid au nom de l’article 155 de la Constitution et faire que l’héritage du précédent gouvernement soit restauré. 

   L’aspect le plus explosif de l’accord porte sur la constitution du prochain gouvernemental. Il s’agissait de savoir si le président Puigdemont exilé en Belgique allait se représenter comme chef du gouvernement. Ceci pose d’importantes difficultés sur le plan juridique. Comment élire un chef de gouvernement absent et comment un tel chef de gouvernement pourra-t-il gouverner en étant hors de la Catalogne. Les services juridiques du parlement catalan ont donné un avis négatif à une telle option.

   Les partis indépendantistes ont néanmoins décidé de présenter Puigdemont à la présidence du gouvernement. Il est manifeste qu’on se trouve plus dans le symbolique que dans le juridisme. Le camp nationaliste a la volonté politique de démontrer que la décision de Madrid de mettre en application l’article 155 est un échec et doit être effacé par une remise en situation identique à septembre 2017.

   Normalement les députés catalans doivent voter avant le 31 janvier.

   Madrid est déjà à la maneouvre sur tous les fronts. Déjà sur le front juridique en espérant que le Tribunal Suprême interdise de voter pour Puigdemont ou pour annuler une telle élection. Il n’est pas à exclure qu’une justice aux ordres pourra prendre de telles décisions. Sur le front répressif aussi. Madrid est en train de mobiliser une véritable armada pour ne pas subir l’humiliation de l’arrivée surprise d’un Puigdemont le jour du vote. La police espagnole en est à investir les égouts sous l’édifice de la Généralidadt pour éviter toute surprise. Fort heureusement pour les « espagnolistes », le ridicule ne tue pas sinon leurs rangs seraient décimés.

   Ainsi, toutes les options sont possibles : ou impossibilité d’élire Puigdemont (complètement anti-démocratique mais on a déjà vu que la justice espagnole peut aller très loin), son élection mais une annulation, son élection mais l’impossibilité de gouverner, élection d’un autre indépendantiste etc…

   Quand ce tour de chauffe aura lieu, il faudra bien commencer à en revenir à l’essentiel, l’avenir politique du peuple catalan : indépendance, plus large autonomie etc….

   Car ce qui reste pour le moins délirant est l’absence de toute tentative de trouver une solution politique de la part du pouvoir central. Que ce soit Puigdemont en décembre 2017 ou Torrent après son élection, tous les dirigeants des forces indépendantistes n’ont cessé depuis le dernier scrutin d’appeler à un dialogue politique avec Madrid. Mais Rajoy, le premier ministre espagnol, n’entend rien et reste cabrer sur son obsession centralisatrice. Même la promesse qui avait été faite aux dirigeants socialistes du PSOE (pour soutenir le recours à l’article 155) d’envisager une discussion sur une réforme de la constitution en vue d’assouplir son centralisme a disparu. Le Parti Populaire (PP) est dans une logique de plus en plus extrémiste car il craint la concurrence du parti centriste Ciudanos qui le dépasse dans les sondages et a fait de l’anti-indépendantisme son credo.

   Le pari des « espagnolistes » est de tout bloquer pour espérer lasser les catalans de vouloir leur émancipation. L’histoire a démontré que ce type de pari n’est guère tenable sur le moyen ou long terme.

   Nous sommes en train d’assister à un véritable délitement des principes démocratiques au sein de l’UE (avec la Catalogne, ajouter le traitement inhumain de la question des migrants ou l’arrivée de l’extrême droite au gouvernement en Autriche, les dérives autoritaristes en Pologne et Hongrie et vous aurez fait le tour de ce qui ose se présenter comme la référence humaniste sur la planète Terre) car il reste extraordinaire que dans un de ses plus grands états non seulement on refuse à un peuple le droit de s’exprimer, on empêche à ses dirigeants de gouverner, on emprisonne ses élus ou des dirigeants d’organisations de masse sous des motifs fallacieux, on viole la volonté populaire exprimée clairement dans un scrutin etc…..

   Ainsi, au-delà du débat sur qui sera le président de la Généralidat, la question essentielle et centrale est celle de savoir si l’Union Européenne va permettre que le principe élaboré au XIX siècle du droit des peuples à disposer d’exu même sera effectivement respecté et exécuté.

   Le 26/01/18.

   R. CONSTANT

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