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DU CARNET DE CREDIT A LA CARTE DE CREDIT

Par Raphaël Confiant
DU CARNET DE CREDIT A LA CARTE DE CREDIT

{ {{ L’AMDOR a organisé, les 27 et 28 mars, un colloque international sur la question de l’endettement des familles en Martinique avec des intervenants de France, du Québec, de la Jamaïque et de la Martinique.

Voici la communication que Raphaël Confiant y a présentée…}} }

{{INTRODUCTION}}

Mesdames et messieurs,

La réflexion que je vous propose cet après-midi ne sera celle ni d’un économiste ni d’un spécialiste des questions bancaires ou financières ni d’un historien. Je suis avant tout un écrivain c’est-à-dire un observateur au quotidien de la société dans laquelle je vis d’une part et un explorateur de notre mémoire collective de l’autre. Si je m’autorise donc à aborder le thème intitulé « Du carnet de crédit à la carte de crédit », c’est que nul ne peut échapper à l’économie, aux échanges de biens et de services, à moins de vivre en ermite au fin fond des bois. On peut fort bien ignorer la littérature, la philosophie, les mathématiques ou l’astronomie, mais c’est chose tout à fait impossible s’agissant de l’économie car en devenant homo sapiens, l’homme est devenu en même temps un homo economicus, chose que l’on a trop tendance à oublier. Dès le premier troc__bokantaj dirions-nous en créole__aux tout premiers âges de l’humanité, il s’est retrouvé au cœur d’un phénomène qui ira en se complexifiant au fil des siècles et cela à un point tel que le citoyen d’aujourd’hui écoute, à la radio ou à la télévision, les nouvelles du CAC40 ou de l’indice NASDAQ sans trop bien savoir ce que recouvre ces expressions pour le moins ésotériques. Nous y reviendrons…

Avant de parler du carnet de crédit, je pense qu’il est nécessaire d’examiner notre rapport à l’argent et quand je dis nous, je veux parler de toutes les composantes de notre société à savoir Amérindiens caraïbes, Européens, Africains, Indiens, Chinois et Arabes (Syro-libanais si vous préférez), ceux que j’ai pris l’habitude de nommer les six peuples fondateurs de la culture créole. Pourquoi commencer par l’argent, ce mot devant être pris ici au sens de tout instrument permettant d’échanger des biens ou des services sans être obligé de fournir la même chose en contrepartie au vendeur, ce qu’est précisément le troc ? C’est que l’argent, sous toutes ses formes, permet d’économiser, de thésauriser parfois, bref de prévoir le lendemain, l’argent, étant une sorte de gage sur l’avenir.

{{RAPPORT DES SIX PEUPLES FONDATEURS AVEC L’ARGENT}}

Nos premiers ancêtres, les Caraïbes, qui vivaient ici, je le rappelle depuis des millénaires avant l’arrivée de Christophe Colomb, ignoraient, comme vous le savez, les échanges monétaires. Ils vivaient du troc, c’est-à-dire de l’échange : un bien contre un bien, ou un service contre un service. C’est ce qui explique que les conquistadors, pour gagner leur sympathie, leur offrirent des tissus, des lames, des verroteries etc…La cohabitation des Caraïbes et des Européens fut trop brève (environ une cinquantaine d’années) et le choc civilisationnel qui s’ensuivit, avant le génocide des premiers par les seconds, n’ont pas permis aux autochtones de Jouanakaéra, nom caraïbe de notre île, de passer du troc à l’échange monétarisé, contrairement à leurs cousins plus nombreux et plus avancés technologiquement du continent sud-américain. L’Anonyme de Carpentras, retrouvé par Jean-Pierre Moreau, qui est le récit du séjour d’un équipage de marins français dans un village caraïbe de la Martinique entre 1618 et 1620, nous décrit comme suit le tout premier contact entre les deux peuples (2002 : 108) :

{ « De quoi les nôtres, ne faisant semblant de se méfier d’eux, leur montraient en s’approchant d’eux, des haches, serpes, couteaux et autres outils en criant toujours, « France bon, France bon », et ainsi abordèrent à terre où ils furent fort humainement reçus desdits sauvages, qui les menèrent dans leurs cases, où ils les firent tant manger que la plupart ne purent revenir. »}

Le troc servit donc au départ de prise de contact, cependant il convient de rappeler que l’une des causes, sinon la principale, du massacre des Caraïbes n’est autre que l’or. Christophe Colomb et les siens n’étaient pas venus fonder une nouvelle civilisation en Amérique : ils cherchaient d’abord une route plus courte vers les Indes, puis, dans un deuxième temps, l’El Dorado, la cité mythique dont les rues étaient pavées d’or, quelque part dans les Andes. Cet or servait certes à fabriquer des bijoux au XVIe et XVIIe siècle, mais il était déjà une valeur-refuge, il était déjà le garant des unités monétaires européennes en usage à l’époque. Jusqu’à aujourd’hui, les stocks d’or nationaux garantissent la validité ou la solidité de ces unités monétaires. En caricaturant à peine, on pourrait donc dire que les Caraïbes ont été exterminés à cause de l’argent lequel en l’occurrence porte bien mal son nom puisqu’à l’époque il était plutôt question de l’or.

Quand on en vient aux premiers colons français qui, en 1635, s’installèrent en Martinique et en Guadeloupe, il convient de rappeler qu’ils étaient pour la plupart des paysans originaires des provinces du Nord-ouest de la France telles que la Normandie, le Poitou ou la Vendée, et qu’ils étaient évidemment presque tous analphabètes, l’école gratuite et obligatoire ne devant être instaurée en France qu’à la toute fin du 19è siècle. Dans leurs provinces fonctionnait une double économie : une économie déjà largement monétarisée dans les bourgs et les villes et une économie largement dominée par le troc dans les campagnes. Une économie mixte au sein de laquelle le fameux « bas de laine » jouait le rôle de banque en quelque sorte. Cette expression renvoie au fait que l’argent était davantage utilisé comme élément permettant de surmonter les coups durs ou de faire des achats exceptionnels que comme outil d’échange quotidien comme c’est le cas de nos jours. Les bas de laine dormaient donc sous les matelas pour le cas où.

La découverte de la canne à sucre et la commercialisation de son sucre enrichiront brutalement les colons. Au 18è siècle, par exemple, Saint-Domingue, l’Haïti d’aujourd’hui, était la plus riche colonie du monde et la France faisait 40% de son commerce extérieur avec cette seule île, chiffre absolument hallucinant pour notre conception moderne des rapports économiques entre pays. Mais cet enrichissement s’est fait grâce à la Traite et à l’esclavage de dizaines de milliers d’Africains qui étaient achetés sur le continent noir. Ce point est important car c’était peut-être la toute première fois dans l’histoire de l’humanité que des êtres humains étaient achetés. L’esclavage antique, lui, reposait plutôt sur des prises de guerre ou sur du troc. Des esclaves étaient ainsi échangés contre des barres de sel ou du coton. Aux Amériques, l’Africain qui débarque a été certes échangé contre des fusils, des verroteries ou des tissus, ou encore raflé, mais il a été aussi acheté et vendu en bonne et due forme par les fameux traiteurs dans ces baraquements qui jalonnaient la façade nord-ouest du continent africain et où les futurs esclaves étaient entassés durant des mois avant d’être envoyés de l’autre côté de ce qui s’appelait à l’époque la Mer des ténèbres. Parmi ces traiteurs, il y avait bien sûr beaucoup d’Européens, mais aussi des mulâtres, souvent d’origine portugaise, et même, plus rarement, certains rois africains. Il faut préciser ici que les Africains connaissaient l’argent avant l’arrivée des Européens, l’argent au sens d’outil monétaire : ils utilisait des cauris, sortes de coquillages rares qui jouaient à peu près le même rôle que les pièces de monnaie ou les billets utilisés en Europe. Toutefois, ces cauris n’étaient utilisés que pour les échanges internes, les échanges entre Africains. A l’arrivée des Européens, l’argent au sens européen du terme commença à supplanter peu à peu les cauris, sans toutefois les faire disparaître totalement.

Faisons donc un petit résumé d’étape, si l’on peut dire : les Caraïbes ont été décimés à cause de l’or qui était le garant de l’argent au sens monétaire du terme ; les Africains ont été esclavagisés grâce à l’argent en grande partie. Les colons, devenus Békés, achetaient leurs esclaves, comme chacun sait. Sur la plantation, l’esclave est réduit au rang de bête de somme. Il est à peine un être humain, mais l’on sait aussi qu’en dépit de sa situation, il sera amené à manipuler de l’argent, cela à deux niveaux : d’abord, les Petits Blancs ou Békés peu fortunés qui possédaient deux-trois esclaves envoyaient certains d’entre eux qui ayant une compétence artisanale quelconque travailler chez de Grands Békés ou dans les bourgs et parfois, ils les récompensaient en argent ; d’autre part, les esclaves disposaient du fameux « jardin nègre » sur lequel ils pouvaient travailler le samedi après-midi et grâce auquel ils se procuraient de l’argent en revendant leurs fruits et légumes. Ce qui permit à certains d’entre eux de racheter leur liberté ! Ainsi dans « Le Nouveau Voyage aux Isles de l’Amérique » du père Labat, on voit notre ecclésiastique fulminer contre le prix du passage en canot entre Fort-Royal et Saint-Pierre qu’exigeait de lui un nègre libre qui, apparemment, disposait du monopole de cette ligne maritime. Nous sommes pourtant en 1694 c’est-à-dire en pleine période esclavagiste !

N’exagérons toutefois pas ! Ces exemples, pour intéressants qu’ils soient, sont anecdotiques. 98% des esclaves, jusqu’en 1848, date de l’abolition, vivaient en dehors de toute circulation monétaire. Leur intégration à ce système ne se fera que progressivement au cours de la seconde moitié du 19è siècle. {{(...)}}

{{Raphaël Confiant}}

{{(...)}} la totalité de la communication au format pdf.

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