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Destination Chili !!!

Destination Chili !!!

Partir à tout prix. Jamais un choix n’a paru aussi évident, aussi clair dans l’esprit de nombreux Haïtiens. Pour eux, partir est devenu un exutoire, la seule initiative viable. Ils s’en vont sans jeter un seul regard en arrière, sans un remords. Ils étaient plusieurs centaines ce mardi 15 août 2017, le jour de l’Assomption, à s’entasser dans la salle d’enregistrement de l’aéroport international Toussaint Louverture, passeport et billet d’avion en main, se préparant à mettre les voiles, destination Chili, où ils vont accroître le nombre des plus de 44 000 de leurs compatriotes qui se sont déjà installés là-bas en 2017.

Mardi dernier, en début d’après-midi, après être venu à bout d’un embouteillage monstre sur la route menant à l’aéroport, arrivé à hauteur du parking, d’un simple coup d’œil en face, on voit la saignée. Mieux que tout ce qui se dit sur les réseaux sociaux ces derniers jours ou tous les articles qui ont été écrits sur le sujet. Il fallait le voir pour se rendre compte à quel point le pays est en train de se vider. Il ne s’agit pas de gens qui profitent de ce jour férié pour faire une escapade à Miami ni de la diaspora haïtienne qui repart après avoir bouclé ses vacances au pays. Rien de tout cela. Les Haïtiens partent, tout simplement. Massivement. Hommes, femmes, jeunes et vieux prennent un aller simple pour le Brésil ou le Chili.

Dans la salle d’enregistrement, les comptoirs de deux compagnies aériennes en particulier débordent. Au fond à gauche, en entrant, la ligne de passagers, immensément longue, avance à pas de tortue, tant au comptoir de Copa Airlines, compagnie réputée et récompensée à plusieurs reprises pour sa ponctualité, qu’à celui de Latin America Wings (LAW). Résignés, ils prennent leur mal en patience. Sans émettre aucune plainte ni récrimination, conscients qu’ils ne sont qu’à un pas de quitter définitivement Haïti.

« Les gens ne veulent plus rester en Haïti », déclare Fabien, la vingtaine avancée, après un long moment de silence. D’un calme olympien, il raconte qu’il va rejoindre un pote à Lampa : « J’ai un ami à Santiago qui a acheté mon billet, il pense que je viendrai chez lui mais je vais retrouver mon ami d’enfance qui est également mon condisciple ». « Je pars à 5 heures, peut-être 6 », a déclaré Fabien d’un ton dubitatif, incapable de préciser l’heure exacte de son vol. Bon cœur, il ne va pas tenir rigueur à LAW pour une heure ou deux de retard, lui qui n’a jamais auparavant quitté son patelin de Lascahobas. « Avant, nous avions l’habitude d’organiser chaque année un championnat de quartier pour les vacances », a confié le jeune homme, soulignant que le comité organisateur a dû y renoncer cet été, faute de joueurs. Ils se sont tous envolés pour le Chili.

Dans la chaleur moite de la salle d’enregistrement de l’aéroport international de la capitale, car la climatisation même à fond n’arrive pas à faire son travail face à cette foule compacte, la force vive de la nation est en train de foutre le camp sous le regard impassible, indifférent des douaniers et des agents de sécurité de l’aéroport. « Tiens, il y a beaucoup plus de monde que d’habitude », a balancé l’un d’entre eux, en mâchonnant un cure-dent tout en triturant sa barbe mal entretenue, avant de se tourner vers un agent de la police nationale pour pronostiquer le résultat du classico entre le Real Madrid et le FC Barcelone de mercredi.

Même si le vol de LAW ne décolle qu’à 5 heures, bon nombre de passagers disent qu’ils sont là depuis 11 heures dans la matinée. Stoïques, ils s’assoient sur leurs talons et attendent leur tour pour se faire enregistrer. La situation n’est pas différente au comptoir de la Copa Airlines où les partants font le pied de grue pour se faire inscrire sur un vol qui part pour le Brésil et le Chili avec escale au Panama.

Paradoxalement, vu leur nombre impressionnant, il aurait dû y avoir un tohu-bohu. Mais rien de tout cela. Pas de vacarme, ils ne crient pas, ils n’élèvent pas la voix. Joseph, costume gris et chemise bleu ciel, qui devait partir à 11 heures du matin, dit être à l’aéroport depuis 6 heures a.m. « Je ne comprends pas l’organisation de tout ceci. C’est un véritable fiasco », maugrée-t-il en s’en prenant particulièrement aux indisciplinés qui, dans leur volonté de pénétrer tous à l’intérieur, ont provoqué une bousculade et brisé la ligne. Un superviseur, dit-il, las, lui a pris son passeport ainsi que celui de six autres camarades qui, comme lui, ont raté le vol précédent, pour tenter de le faire partir sur celui du crépuscule.

 

« Sur mon billet, il est écrit 8 heures. Je suis là depuis 5 heures », se plaint Jacqueline de sa voix monocorde. « Ils ont enregistré tout le monde, jusqu’au dernier, et c’est à ce moment qu’un responsable m’a informée que je ne pourrais pas partir car mon nom n’est pas sur la liste », raconte-t-elle, amère, après que le premier avion a embarqué sans elle. Le deuxième aussi. Elle panique légèrement, commence à faire les cent pas, et finit par lever les bras au ciel en soupirant : « Et dire que le billet m’a coûté 1100 dollars !»

Au final, Jacqueline et une dizaine d’autres passagers n’ont pas pu se faire enregistrer. Ils repartent chez eux, flegmatiques, sans pester, avec la ferme intention de revenir tenter leur chance demain.

Si la tendance se maintient, l’immigration haïtienne au Chili va battre tous les records. En l’espace de sept mois seulement, le nombre d'immigrants haïtiens arrivés au Chili en 2017 vient de dépasser le total de l'année dernière. Les compagnies aériennes se pourlèchent les babines. Sur demande du gouvernement chilien, la compagnie aérienne chilienne LAW, qui a lancé ses premiers vols en 2016, a déclaré avoir effectué 125 vols en 2016 et, sur 122 d'entre eux, a transporté un total de 13,924 ressortissants haïtiens munis d'un visa de touriste et seulement 200 de ces compatriotes sont retournés en Haïti.

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