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D’autres vies sous la tienne, ou le poids de nos hérédités

Térèz Léotin
D’autres vies sous la tienne, ou le poids de nos hérédités

«Qu’est-ce que cela peut être dur de voir un de ses petits quitter le nid, avec l’assurance qu’il ne reviendra pas ou pas de la même façon ! » C’est un départ, d’abord un départ, celui d’Anita, une des héroïnes du roman « D’autres vies sous la tienne »,  qui va nous conduire et nous mènera vers une recherche d’origine, une quête d’identité,  qui va tomber sur les secrets de famille, les peurs à affronter, (toute l’histoire de vie se résume à un seul mot : la peur), les malédictions à transgresser, les croyances indélébiles en l’existence de dorlis, ces incubes et autres soucongnans, les traumatismes et avec eux les frustrations à surmonter.

« D’autres vies sous la tienne » c’est aussi un regard profond sur la place de la femme dans notre société antillaise. C’est celui de la dispersion comportementale des hommes  pères d’enfants sans père qui ne sont rien d’autre que des déracinés de la société. C’est le roman de la dé-responsabilité proverbiale du géniteur : kok mwen lib maré poulett ou, disent les mères. Père porteur « dune généalogie sans gloire ». Comme pour s’en préserver, l’Auteure nous dit : « Quand on bâtit une vie sous le mensonge, on édifie sa propre prison. »

 

Ce départ d’Anita va donc ressusciter les peurs, celles qui nous « dévorent » et que nul n’arrive à apprivoiser : la « peur intestine », celle d’une maman qui ne savait que jouer à la fille avec sa propre fille, celle d’une maman « en retard dans ses sentiments ». 

À l’ère du WhatsApp, des missives expédiées par messages électroniques ou sur Facebook, toutes ces technologies nouvelles, l’héroïne principale Céline Clairon, épouse Permat, et mère d’Anita, choisira de procéder comme avant elle, madame de Sévigné, à des échanges épistolaires avec sa fille pour évincer à sa manière la peur de la séparation. Une lettre, avant tout « une démarche nécessaire »  qui grâce à l’’éloquence de ses mots aura le charme de la maintenir vivante sous les yeux d’Anita sa lectrice. Ces échanges n’ont pas la brièveté des messages ou vidéos volatiles de nos portables. « Te l’écrire plutôt que te le dire de vive voix reste pour moi une solution de repli préférable ».   Il s’agit de réconcilier les deux générations, réduire « la fracture entre ton monde et le mien. » ou encore la conseiller : «  Quelquefois il faut savoir  jeter la clé de sa bouche pour ne pas porter préjudice. »

 

Mérine Céco avec ce roman « D’autres vies sous la tienne » au titre énigmatique, vient « bousculer notre confort.» Elle nous réconcilie cependant avec nos peurs, celles de ces esprits dominants qui jonchent nos vies et nous maintiennent dans une espèce de schizophrénie inconsciente allant de ce cordon ombilical, qui nous relie à nos ancêtres que nous les réfutions ou non, et nous révèle à nous-mêmes, cette génération spontanée, issue tout droit des cales des bateaux négriers. Double douleur que sortir de la cale, puis sortir ensuite de rien, sans hérédité où s’accrocher. Sans représentation antérieure, ni postérieure et donc presque sans identité, que celle de notre mémoire, parfois défaillante puisque sans information que celles que l’on voudrait ignorer : « je découvrais avec émoi les traumatismes  vécus par nos ancêtres et qui nous marqueraient jusque dans nos gènes. Une existence faite de trous noirs ». L’auteure nous amène à comprendre qu’il n’y aucune honte à avoir, dans ce monde « où tout le monde s’efforçait de croire au bonheur pour chasser le malheur ».

La narratrice-héroïne sait affronter aussi le regard dominant des Blancs sur les non-Blancs, au pays des Blancs où l’on doit se battre « pour prouver en permanence qu’on mérite d’être rattaché à l’humanité tout en ayant rien fait pour en être détaché. »

 

Céline et avec elle Anita dénoncent un concentré de réalités, des vérités que nous allons traduire en troubles somatiques, qui seront refoulés dans la profondeurs de nos chairs,  qu’on le veuille ou non. Prise de conscience, malaise social dans ce monde où notre passé nous harcèle, nous précède et nous obsède, « on change de lieu mais pas de peau ». Prise de conscience pour ne pas nous résigner et savoir résister avec honneur aux conséquences de l’esclavage sur le psychisme, et donner à nos enfants la force de nous succéder et de vivre différemment et dignement. « Car tant que l’on ne s’est pas libéré soi-même, on reste enchaîné. »

L’histoire d’Anita et de Céline c’est notre passé commun, et nous les voyons allongées chez un psychanalyste, soigneur de conscience, à lui dire notre grande blessure, notre « blesse » interne, à lui parler de notre « nombril conquérant de sortir de la béance de notre hérédité » à lui  révéler que « dans ce monde il y a de la violence et de la brutalité. Il y a de l’espérance aussi et beaucoup d’amour, tout ce qui nous permettra de fuir nos fantômes ». Avec en filigrane ce poème :

« O pli lwen man gadé

Man ka wè tjè’w, man sav ou ja lévé…. »

 

D’autres vies sous la tienne, roman paru aux Éditions ÉCRITURE, février 2019, 18 €, de Mérine Céco, qui nous donne à mieux affronter le poids de nos hérédités, pour nous réconcilier avec nous-mêmes. À lire et avoir dans sa bibliothèque.

 

 Térèz Léotin

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