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Damien Barraud : "C'est de la médecine spectacle, ce n'est pas de la science"

Mireille Roubaud
Damien Barraud : "C'est de la médecine spectacle, ce n'est pas de la science"

Le docteur Damien Barraud, médecin réanimateur en unité Covid au CHR de Metz-Thionville, explique pourquoi selon lui les annonces du professeur Raoult ralentissent la lutte contre le coronavirus en ajoutant de la confusion et un battage médiatique autour d'une figure qualifiée désormais de populiste par de nombreux scientifiques.

Suite aux annonces du Dr Raoult dévoilant jeudi 9 avril sa dernière étude, les premiers commentaires de la communauté scientifique ne semblent toujours pas dessiner de consensus. A l'instar du président de la fédération des médecins de France, Jean-Paul Hamon, qui regrette une dérive relevant de la politique spectacle, à propos de la visite d'Emmanuel Macron à l'IHU Méditerranée, certains dénoncent désormais un scandale éthique comme le docteur Damien Barraud, médecin réanimateur en unité Covid au CHR de Metz-Thionville. 


Quelle est la situation actuellement dans votre service de réanimation ?

On a l'impression d'avoir passé le fameux pic, atteint un plateau. Le rush d'admissions semble être derrière nous, même si le service continue à tourner à plein. Si le tri des malades est habituel en réanimation, on avait suffisamment de capacité pour ne pas faire de tri aussi drastique comme cela semble s'être déroulé en Italie, avec des limites d'âge très basses. On a travaillé comme on l'aurait fait hors période de crise.

 

L'effraction médiatique de la communication du professeur Raoult a-t-elle gêné le travail des médecins dans cette crise ?

Elle a gêné le travail des médecins à plusieurs niveaux : si nous étions sur la même ligne dans mon équipe, il y a eu dans mon hôpital certains collègues de services conventionnels qui voulaient prescrire de l'hydroxychloroquine, ce qui a créé beaucoup de palabres et de discussions. Il y a eu également des conséquences pour nos rapports aux malades et aux familles, qui nous ont demandé parfois de manière très véhémente de prescrire de l'hydroxychloroquine, en nous menaçant de procès si nous ne le faisons pas. Entre le stress et la pression, cette polémique a généré une ambiance pesante, dont nous nous serions bien passés tant le climat était déjà difficile. Enfin, cela entrave la bonne marche de la recherche, certains patients refusant de recevoir d’autres traitements.

 

Comment expliquez-vous l'emballement qui a propulsé le Dr Raoult sur le devant de la scène médiatique malgré des études très critiquées par la communauté scientifique ?

L’emballement me semble multifactoriel. Il s’explique probablement d‘abord par le mode de communication adopté par le professeur Raoult, qui a su utiliser Youtube et les réseaux sociaux pour rapidement se poser en sauveur de la nation, avec une solution miracle, dans une période de grand stress dans la population. Toutefois, la faiblesse des preuves scientifiques fournies par son équipe aurait dû clore le débat immédiatement. Si cela ne s’est pas passé ainsi, c’est me semble-t-il lié à une défaillance chronique du système hospitalo-universitaire français, qu'une telle crise sans précédent a révélé au grand jour. Certains reproches à l'encontre du gouvernement concernant la gestion de la crise sont justifiés. Il y a eu de vraies erreurs, telles que les pénuries de masques, de matériel. Mais la pression a été telle que le gouvernement a du lâcher la bride lorsqu'un bâteleur annonce sur la place publique qu'il dispose d'un traitement miracle, et que ce serait "l'infection respiratoire la plus facile à traiter". Le décret gouvernemental concernant la prescription de l'hydroxychloroquine est le témoin de cette prise d‘otage. Dans un fonctionnement normal, la communauté scientifique auraît dû s’élever et mettre fin à tout cela. En 2017, un rapport du haut Conseil de l’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (HCERES), a pointé de graves dysonctionnements au sein de l'IHU Méditerranée infection, suffisants pour entraîner en 2018 la perte de labellisation INSERM et CNRS. Dès 2006, des faits d’inconduite scientifique ont été mis au jour, et entrainé une interdiction transitoire de publication scientifique par l’American Society of Microbiology, et de nombreux commentaires sur le site PubPeer par des scientifiques du monde entier. Concernant la publication de sa première étude sur son traitement contre la Covid19, il n'y a probablement pas eu de reviewing, l'éditeur en chef de ce journal étant le bras droit de Raoult. Lorsque l'étude a été publiée dans Pubpeer, beaucoup de scientifiques ont pointé les anomalies de ce travail. Et l'équipe de Didier Raoult ne répond pas à ces questions. L’International Society of Antimicrobial Chemotherapy, société savante à laquelle appartient le journal scientifique ayant publié ce travail, a même pris ses distances cette semaine, en émettant une note exprimant la mauvaise qualité de cette publication qui n’aurait pas dû être publiée. Au niveau hospitalier, L'AP-HM sait aussi ce qu'il se passe. Le problème est simple : les équipes de l'IHU rapportent 25 % des points Sigaps (Système d’interrogation, de gestion et d’analyse des publications scientifiques, ndlr) de l'AP-HM, ce qui représente énormément d'argent pour l’institution, qui n’a aucun intérêt à perdre la poule aux oeufs d‘or. Lorsque des organismes de recherche l'interrogent, comme le British Medical Journal, Didier Raoult préfère décliner les questions, et poster une vidéo sur Youtube. C'est gravissime. Dans un monde normal, tout est réuni pour que soit justifiée une mise au ban de la communauté scientifique du professeur Raoult. Mais rien ne se passe. Tout le monde se tait. Ou ne proteste que mollement, alors qu’il s’agit d’un véritable scandale.

 

Quelles conséquences sur le plan éthique relevez-vous ?

Dans son dernier papier, il inclut 2 enfants de dix ans, ce qui est une entorse éthique grave, parmi d‘autres. En plus d'être une faillite scientifique, ces travaux sont une faillite éthique. Si la recherche clinique est réglementée, s'il existe des règles méthodologiques qui ont été élaborées avec le temps, ça n’est pas pour rien, mais pour produire de la meilleure science. Sa manière de communiquer va à l’encontre du code de déontologie médicale, qui prévoit que le médecin doit faire preuve de prudence, de ne faire état que de données confirmées, et pas de publicité. Lorsqu'il indique qu'on meurt moins à Marseille, c’est un tour de passe-passe. Le taux de mortalité bas est lié à leur politique de dépistage systématique, augmentant les formes asymptomatiques ou peu sévères, ainsi qu’à l’absence de service de réanimation, abaissant de fait le nombre de décès. Alors en effet, cela n’est pas mentir stricto sensu, on meurt moins à l’IHU, mais cela n’est en aucun cas grâce à son traitement. Faire croire cela n’est pas déontologique. Ainsi, même si l'hydroxychloroquine marche, ce que je souhaite, il fait perdre beaucoup de temps avec ses méthodes hors des clous.

 

La méthodologie demeure-t-elle essentielle pour être "dans les clous", dans ce genre de crise?

Nous sommes passés de l'empirisme à des méthodes structurées car nous sommes justement passés par des échecs, dont nous avons appris. L'histoire de la médecine est jonchée de dizaines de ces échecs. Ce que propose le professeur Raoult, c'est le degré zéro de la recherche scientifique. C'est de la vieille médecine suranée, simpliste, et du faux bon sens, dans laquelle l’expertise est seule suffisante : "Ils n'ont rien retenu selon moi des échecs du passé". L'expérience est importante mais non suffisante : il nous faut des données. Ce sont les données qui sont irréfutables, pas l'expertise qui pourrait d'ailleurs être questionnée. L'agument d'autorité basé sur le productivisme d'articles est de la poudre aux yeux. Les indices de bibliométrie ne font pas la qualité d'un chercheur. Pour revenir à la question du sens d'un traitement, l'important n'est pas uniquement de faire disparaitre un virus dans le nez, il faut également que le malade aille mieux. Le meilleur exemple avec l'hydroxychloroquine c'est le chikungunya : l'hydroxychloroquine inhibait le virus, in vitro, de manière tout a fait efficace. Mais chez l'homme, elle aggravait l'état du patient. Donc il n'y a pas d'autre moyen de s'en rendre compte que de réaliser des essais dans les règles de l'art, avec un groupe contrôle, idéalement avec placebo. C’est tout à fait possible en urgence. Et parfaitement éthique. Dans son dernier "préprint" mis en ligne sur son site de l’IHU, et qui a mon sens ne passera jamais l’étape d’un reviewing, il ne règle aucun problème et ne montre rien. Car il n’y a pas de groupe contrôle. Il peut continuer avec 100 000 patients, l’étude sera toujours aussi mauvaise méthodologiquement. Les règles, c'est comme le code de la route. Cela parait contraignant. Mais c’est fait pour permettre au plus grand nombre de conducteurs, ou de patients, d'arriver à bon port. C'est d'autant plus important en période de crise.

 

Que pensez-vous de la prise à témoin de l'opinion publique sur les réseaux par le professeur Raoult ?

C'est une sorte de braquage scientifique. Quand on communique très vite comme étant un sauveur, on prend tout le monde en otage : le gouvernement et les citoyens. Son argument d'autorité et d'expertise cherche à asseoir un appui populaire, au détriment de celui de ses pairs. C'est du populisme médical. On dit et on donne aux gens apeurés ce qu’ils ont envie d’entendre et de recevoir : un test et une pilule. La médecine n'est pas un barnum à la télé. Ce sont des discussions de scientifiques qui débattent ensemble de résultats tangibles. Le bien fondé d’un traitement n’est pas décidé par des prises de position à l’emporte-pièce d’hommes politiques en quète de visibilité. Ni par des pétitions démagogiques. Ni avec des sondages comme celui du Parisien. C'est ce qui prend en otage tout le monde, et qui a d'ailleurs forcé le comité de pilotage de l'essai Discovery à rajouter un bras de patients traités à l'hydroxychloroquine. On marche absolument sur la tête, et les malades et l’intelligence en pâtissent.

 

De nombreuses accusations ont surgi à l'encontre de certains détracteurs du Dr Raoult, taxés de conflits d'intérêt. Qu'en pensez-vous ?

Il est vrai que certains praticiens peuvent être exposés à des conflits d'intérêt. C’est un véritable problème. Mais le Dr Raoult n’en est pas exempt : Sanofi, le producteur français du Plaquénil, est partenaire de l'IHU et le finance. Si la chloroquine ne coûte pas cher, un marché de 30 millions de Français, cela fait de grosses sommes. Malheureusement les conflits d'intérêt font partie d'un système ancestral, et il ne faut certainement pas faire passer le Dr Raoult pour une blanche colombe. On ne peut pas refuser de liens avec l'industrie pharmaceutique, mais il faut exclure tout avantage ou cadeau. Il peut exister également des conflits d'intérêt non financiers, pour monter en grade dans dans la hiérarchie hospitalo-universitaire, et qui poussent certains à publier beaucoup et vite. Mais cette course au scoop produit toujours de la mauvaise science, et est délétère pour une bonne marche de la médecine.

Que regrettez-vous dans cette polémique ?

Tout. Tout le déroulement de ce cirque dont nous n’avions pas besoin dans cette periode si difficile. Et je regrette que les médias entretiennent cela plutôt que d’être apaisants. Il faudrait que les médias soient dans un mouvement éducatif, afin d‘élever les gens, leur apprendre a critiquer, prendre du recul, pour ne pas tomber dans la premère croyance. Des journalistes ne jouent pas ce rôle en la matière. Lancer des sondages, demander son avis à tout le monde sur un plateau, est irresponsable. Du coup les gens, en grand stress dans cette période, se raccrochent au premier qui leur donne de l'espoir. Ce n'est pas déontologique. Plus la période est grave, plus nous nous devons, nous tous, médecins, chercheurs, soignants, comme journalistes, de garder la tête froide et de travailler de manière rigoureuse.

Propos recueillis par L.M.

 

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