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CUBA, LE PAYS OU L’AGROECOLOGIE EST VRAIMENT APPLIQUEE

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CUBA, LE PAYS OU L’AGROECOLOGIE EST VRAIMENT APPLIQUEE

Comment passer de l’agriculture intensive à l’agroécologie ? Geoffrey Couanon, réalisateur, s’est rendu à Cuba. L’île a entamé depuis vingt ans une conversion agroécologique, avec des hauts et des bas. Il a rapporté un projet de documentaire, « Si se puede ! ».

Reporterre - Qu’est-ce que l’agriculture a de particulier à Cuba ?

Geoffrey Couanon - Il y a eu une crise alimentaire et énergétique sans précédent, et ça a été un électrochoc. À la fin des années 1980, Cuba pratique une agriculture très industrialisée, et « technologiquement avancée » largement orientée vers l’exportation en direction de l’URSS. Canne à sucre, café, cacao, tabac.

Au début des années 1990, après l’effondrement du bloc soviétique, Cuba perd son principal partenaire commercial. Il faut imaginer un PIB qui en deux ans s’effondre de 38 %, c’est plus que ce qu’ont connu les Grecs au cours des dernières années. La production alimentaire dégringole. Pour les Cubains, c’est une période alimentaire très compliquée, extrêmement dure. La fameuse« période spéciale ».

Un choc, mais qui a permis l’émergence d’un mouvement tout à fait différent : il a fallu réintroduire de la diversité dans l’agriculture pour avoir plus d’autonomie, moins dépendante des importations de produits chimiques synthétiques. C’est le développement de l’agroécologie. Contrairement à une lente sensibilisation en Europe, il y a eu à Cuba l’urgente nécessité de se nourrir.

Cuba est donc un laboratoire pour le monde puisqu’on n’a jamais tenté une reconversion du système agricole à cette échelle.

Concrètement, l’agroécologie cubaine, ça ressemble à quoi ?

Beaucoup d’agriculture urbaine : Cuba compte plus de 380 000 exploitations agricoles urbaines, qui produisent plus de 1,5 million de tonnes de légumes. Ces exploitations fournissent 70 %, et parfois plus, des légumes frais à La Havane.

Et puis surtout, il y a le mouvement « Campesino a campesino » (De paysan à paysan). Le paysan est acteur de l’innovation technique et sociale. C’est lui qui teste l’agorécologie sur ses terres. Il y a aussi des ateliers de formation, des échanges de semences et des forums régionaux et nationaux de partages des savoir-faire.

L’agroécologie produit 65 % de l’alimentation du pays, alors qu’elle ne couvre que 25 % des terres agricoles. Ce mouvement agroécologique est justement au coeur de notre documentaire. Nous voulons filmer ces échanges, ces pratiques, ce mouvement social qui pourrait en inspirer d’autres.

La question sous-jacente est de savoir si l’agroécologie est un choix conjoncturel sur le court terme qui a été appliqué dans un temps particulier de crise, ou si c’est un choix structurel qui pourrait installer une vraie souveraineté alimentaire pour le pays ?

Quelle différence entre l’agroécologie cubaine et française ?

C’est une question complexe. À Cuba, le gouvernement peut définir un choix politique et organiser les règles du jeu de l’économie. Nous, on est dans des pays d’économie de marché, et où on a des gouvernants qui disent :« J’aimerais bien pouvoir faire çà, mais si je décide d’aller dans tel sens, on aura la fuite des capitaux, si je décide de favoriser les entreprises locales, je suis en désaccord avec l’Organisation mondiale du commerce ».

Cuba se crée des marges de manœuvres et c’est quelque chose d’important dont nous pourrions nous inspirer.

En France, on a une concentration rapide et forte des terres, une diminution du nombre de paysans. À Cuba, il y a eu une redistribution des terres extraordinaire : en dix ans, plus de un million et demi d’hectares ! À l’échelle française, ça voudrait dire les Midi-Pyrénées et l’Aquitaine.

En France, le discours ambiant prétend que les deux agricultures peuvent très bien cohabiter, qu’on peut très bien avoir une agriculture paysanne et puis une agriculture plus intensive, plus exportatrice. Mais c’est très compliqué de parler d’agroécologie et en même temps d’avoir des discours sur la compétitivité avec tout ce qu’il y a derrière, à savoir la main-d’œuvre pas cher dans les fermes, l’agriculture industrielle.

Est-ce que nous voulons une agroécologie paysanne à taille humaine avec une multitude de paysans ou une agroécologie intensive de supermarché avec une main mise de quelques agromanagers qui pourront choisir comment ils veulent nous nourrir ? Ce sont deux projets de société très différents.

Comment vous est venue l’idée du film ?

Je suis réalisateur et Céline qui participe à la préparation et la réflexion autour du film, est ingénieure, spécialisée en agroalimentaire. Céline est aussi passionnée par Cuba, elle y a réalisé plus d’une dizaine de voyages. Nous sommes tous les deux animés d’une même volonté : donner la parole, relayer, témoigner, montrer les alternatives constructives à un système dominant écrasant pour l’humain et la nature.

Notre projet a pour fil conducteur « la Ruta de ciencias y técnicas », une initiative du ministère de l’Agriculture cubaine, qui organise chaque mois une tournée à travers une ou plusieurs provinces pour visiter des paysans et des fermes qui expérimentent des pratiques agroécologiques. Ce périple est l’occasion de confronter les points de vue sur ce mouvement. Car l’agroécologie ne fait pas consensus sur l’île.

Vous défendez aussi les films sur l’agriculture. Pourquoi ? C’est compliqué de parler d’agriculture au cinéma ?

L’agriculture, c’est là que tout se passe. J’ai l’impression que celui qui sait cultiver, qui a cette connaissance, peut tout faire. Et pourtant, les paysans disparaissent tous les jours en emportant leurs histoires.

Surtout, je choisis de réaliser des films sur l’agriculture car je suis profondément choqué, énervé, par ce qu’est devenu le métier de paysan dans nos sociétés contemporaines. Tour à tour moqué, dévalorisé, accusé ou complice de cette machine infernale de la productivité, de l’exploitation et du profit.

Souvent, les films qui abordent l’agriculture, sont très simplistes, très manichéens. Il y a la thèse et l’antithèse. Parfois il n’y a même pas d’antithèse. Ils nous disent ce qui est bien et ce qui est mal, comme si c’était une vérité absolue. Un film sur l’agriculture peut rapidement être cliché. Nous avons une image des paysans et de leur univers et nous souhaitons qu’ils y correspondent. La plupart du temps on se trompe. Il faut se laisser surprendre.

- Propos recueillis par Lorène Lavocat

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