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CONGO : BANQUE MONDIALE ET MULTINATIONALES ONT ORGANISE LE SUPER-PILLAGE DES MATIERES PREMIERES

par Tony Busselen
CONGO : BANQUE MONDIALE ET MULTINATIONALES ONT ORGANISE LE SUPER-PILLAGE DES MATIERES PREMIERES

La commission congolaise qui a examiné durant un an et demi les principaux accords du secteur minier a publié son rapport la semaine dernière. L’enquête a révélé pas moins qu’un véritable hold-up au détriment de l’État congolais. Le gouvernement de Kinshasa ne tire pour ainsi dire pas de recettes d’un secteur au sein duquel l’emploi est soumis à une spéculation à grande échelle.

Comment est-il possible qu’un des pays les plus riches de la planète fasse en même temps partie des plus pauvres ? Naturellement, la base de cette situation a déjà été posée sous la dictature de Mobutu, qui s’est exercée de 1961 à 1996. À la fin des années 1980, le Congo envoyait bien plus d’argent vers le Nord qu’il n’en recevait. Il payait des intérêts impossibles sur des emprunts et les produits qu’il importait du Nord étaient de plus en plus chers alors que les prix de ses propres matières premières s’effondraient. Le fameux marché libre rendait tout développement économique impossible.

En outre, le régime mobutiste obéissait servilement aux moindres desiderata des multinationales occidentales. C’est ainsi qu’à cette époque, des contrats à long terme furent conclus, permettant aux multinationales d’exporter des matières premières à des prix fixes, sans tenir compte des véritables prix du marché. Le journal Le Phare cite un exemple de contrats selon lesquels, aujourd’hui, on facture toujours la tonne de cuivre à 500 dollars, alors que le prix sur le marché mondial tutoie les 8.000 dollars (soit… 1500 % de bénéfice !).

Mais, ces dernières années, les grandes sociétés minières ont-elles aussi commis un véritable hold-up des richesses congolaises.

En 2006, les rentrées de l’État concernant le secteur minier étaient bien loin de répondre aux attentes. Elles ne représentaient que 6 % du budget du gouvernement alors qu’en 2002, en pleine guerre, elles s’élevaient encore à 30 % du budget. Dixit le ministre de l’Économie et du Commerce, André-Philippe Futa. C’est d’autant plus honteux quand on sait que, ces dernières années, au Katanga, 1644 permis d’exploitation de mines ont été délivrés et que le prix des matières premières a considérablement augmenté. Le prix du cuivre, par exemple, n’était encore que de 4000 dollars la tonne voici quatre ans, alors qu’aujourd’hui, il approche les 8000 dollars .

La commission gouvernementale de révision des contrats miniers décrit la façon dont ce hold-up a été perpétré :

- les entreprises minières bénéficié d’une exemption complète d’impôts durant une période anormalement longue ;
- la sous-évaluation de l’apport du côté congolais ;
- la surévaluation de l’apport du partenaire étranger.

Des 60 contrats examinés, aucun ne s’est avéré « normal » [lisez « acceptable »], 39 devraient être renégociés et 22 devraient tout simplement être résiliés.

L’ONG IPIS cite quelques exemples du rapport :
- Anvil Mining à Dikulushi

La commission est surtout outrée du fait qu’Anvil y a obtenu, pour elle-même et pour tous ses sous-traitants, durant 20 années, une exemption complète d’impôts et de royalties, grâce à un contrat signé en sous-main en 1998.

AngloGold Kilo
La commission prétend qu’au fil des années, la convention minière d’Okimo, signée avec AngloGold Kilo, n’a cessé de subir de vilaines entorses de la part du partenaire privé. La superficie d’exploitation allouée à AngloGold a quadruplé, alors que le loyer pour le territoire a diminué. En outre, AngoGold n’y a toujours pas entamé la production.

Tenke Fungurume Mining
Parmi les joint-ventures de Gécamines, c’est surtout Tenke Fungurume Mining qui saute aux yeux. Là aussi, la commission dit que la participation de Gécamines doit regrimper à 45 %. Selon la commission, cette participation a été indûment ramenée de 45 % à 17,5 %. Le contrat de 2005, qui réduisait également la rémunération financière pour l’apport de Gécamines de 250 millions à 100 millions de dollars, doit être annulé, estime la commission. Mais il y a une complication : le partenaire d’origine, Lundin, a vendu une partie de sa participation à la société minière américaine Phelps Dodge. Illégalement, prétend la commission. Il convient de noter que, fin 2006, Phelps a été repris par Freeport McMoran qui, aujourd’hui, détient ainsi une participation de presque 58 % dans Tenke Fungurume Mining.

Spéculation sur un monceau de misères
La population congolaise vit dans une misère noire. Mais les entreprises minières ne sont pas pressées d’entamer la production. Entre-temps, elles spéculent toutefois sur leurs concessions, « obtenues » de l’État congolais, afin de réaliser des profits maximaux.

Elles laissent leurs concessions minières intactes jusqu’au moment où les prix (entre autres, du cuivre et du cobalt) auront augmenté le plus possible et que leurs conditions d’exploitation se seront développées de façon optimale au détriment de l’État congolais.

À la mi-mars, à Kinshasa, le ministre congolais des Mines, Martin Kabuelulu, expliquait qu’à ce moment, 4542 titres d’exploitation de mines et de carrières avaient été délivrés à 642 firmes et que les concessions auxquels ces titres avaient trait, constituaient 33 % du territoire national. Le ministre expliquait par la même occasion que, des 60 contrats miniers examinés, 5 seulement étaient actuellement en phase de production et 6 au stade d’étude préparatoire.

De la sorte, l’État congolais ne peut pratiquement percevoir aucun impôt du secteur, alors que ces rentrées lui permettraient de financer la reconstruction du pays. De leur côté, les travailleurs congolais ne peuvent gagner le moindre salaire en vue d’entretenir leurs familles.

Comment une telle situation a-t-elle été possible et que faire pour y remédier ?

Dans les capitales occidentales comme Londres et Bruxelles, on suggère que « les dirigeants congolais, incompétents » sont coresponsables de cette situation. Ils auraient en effet signé les contrats et ils ont palpé suffisamment de pots-de-vin pour laisser se produire ce pillage des ressources nationales.

L’Occident réclame dont la « transparence » : Des spécialistes internationaux neutres et des représentants du monde des ONG devraient pouvoir participer aux négociations. D’après les capitales européennes, cela ne doit certainement pas se faire « dans la discrétion », sinon les opérations risqueraient d’être encore entachées par « des pots-de-vin supplémentaires ».

Mais cette analyse des causes et des remèdes à envisager est totalement erronée. En fait, la discussion doit se focaliser en premier lieu sur la façon de mettre sous pression les multinationales minières et les banques. Car ce sont elles, en effet, les principales responsables de cette situation.

1°) les grandes sociétés minières occidentales accaparent le gros du butin. Il s’agit d’entreprises qui réalisent de superprofits. IPIS cite, par exemple, les bénéfices 2007 de deux géants miniers : BHP Billiton (13,496 milliards de dollars) et Rio Tinto (7,746 milliards de dollars). Des chiffres faramineux et il ne s’agit que de deux acteurs importants parmi d’autres. Ces mastodontes de l’exploitation minière sont aujourd’hui lancés dans une véritable ruée vers l’or dans un pays qui a été ravagé par des décennies de dictature et une longue guerre sanglante au cours de laquelle 5 millions de personnes au moins ont perdu la vie. Un pays qui a besoin de toute l’aide qu’il pourrait recevoir.

La TOTALITÉ du secteur minier au Congo ne paie que 26,7 millions de dollars d’impôts (soit environ 0,3 euro par habitant). En Occident, on ne veut pas entendre parler de nouvelles véritables négociations. Le ministre belge des Affaires étrangères, Karel De Gucht (Open VLD), disait le 13 mars dans De Tijd que ce ne sont pas des négociations, quoi qu’il en soit, qui pourront accroître ce montant de 26,7 millions de dollars. « La Banque mondiale vise un montant de 200 millions de dollars par an (environ 154 millions d’euros) de rentrées d’impôts en provenance du secteur minier congolais. » L’hebdomadaire Trends-Tendances y va de la réflexion suivante : « 200 millions de dollars, c’est étonnamment peu. En comparaison avec 2006, la Zambie (un pays plus petit que le Congo et disposant de beaucoup moins de matières premières, NdlR) a engrangé 2 milliards d’euros de recettes sur ses exportations de cuivre. »

Les entreprises particulièrement prospères ont donc imposé des accords qui, durant les décennies à venir, priveront l’État congolais d’un gros paquet de milliards de dollars, alors que cet argent est absolument indispensable pour la reconstruction du pays.

2°) Depuis les années 1990, la Banque mondiale réclame la privatisation du secteur minier en Afrique. Au Congo, elle a surveillé de près les opérations et elle a donné son approbation à la signature de tous ces accords scandaleux avec les sociétés minières. C’est donc un euphémisme que de dire que la Banque mondiale a au moins été complice de ce hold-up. L’hebdomadaire Trends-Tendances explique que, quelques jours avant la publication du rapport du gouvernement congolais, James Wolfowitz, directeur de la Banque mondiale, avait déjà fait comprendre clairement qu’il entendait maintenir les contrats existants, sous le prétexte « de ne pas vouloir créer d’insécurité juridique ».

En fait, on ne peut donc qu’espérer que, tôt ou tard, le gouvernement congolais se laissera inspirer par les positions adoptées par les gouvernements du président bolivien Evo Morales et du président vénézuélien Hugo Chávez et, si la chose est nécessaire, qu’il recourra à l’arme de l’expropriation ou de la nationalisation. En même temps, on ne peut qu’adopter un avis très critique lorsque des hommes politiques comme De Gucht ou des institutions comme la banque mondiale se permettent en outre de sermonner les dirigeants congolais à propos de la nécessité d’une « bonne et saine gestion » ou de se plaindre des « États faillis » (ou plus rien ne fonctionne).

3°) La plupart des contrats ont été conclus à une époque où le Congo ne disposait pratiquement d’aucune marge de négociation.

À partir d’août 1998, le Congo a été attaqué par deux importantes armées, très bien entraînées, de la région : les armées du Rwanda et de l’Ouganda. En faillite totale après la période mobutiste, avec une armée pour ainsi dire inexistante, le père Kabila ne se voyait accorder aucune chance par personne. Cette guerre avait d’ailleurs éclaté parce que Laurent-Désiré Kabila « avait adopté une attitude impossible » aux yeux du capital international. Imaginez : Kabila osait résilier des contrats injustes et, au moment même du déclenchement de la guerre d’agression, ç’avait encore été le cas du contrat avec le géant minier canadien Banro. Aldo Ajello, à l’époque représentant de l’Union européenne pour l’Afrique centrale, résume dans les termes suivants ce qui se disait dans les capitales européennes au début de cette guerre d’agression : « En août 1998, l’opération menée par l’actuel chef d’état-major rwandais James Kabarebe aurait dû prendre la forme d’une guerre éclair qui aurait duré une semaine au maximum. (...) Il est vrai que Kabila n’est pas sympathique. Au fond, tout le monde aurait préféré voir le blitz réussir (…) » (Le Soir, 4 mars 2007).

Laurent-Désiré Kabila n’a alors pu faire autrement que de signer certains accords afin de pouvoir disposer d’un minimum d’argent pour financer la défense du pays.

Après l’assassinat du président Kabila, l’Occident obligeait le Congo à accepter un gouvernement d’Unité nationale au sein duquel seraient représentés les fameux « mouvements rebelles » qui avaient collaboré avec les armées étrangères ayant organisé l’invasion du territoire congolais. C’est au sein de ce gouvernement de transition que le chef rebelle et allié de l’armée ougandaise, Jean-Pierre Bemba, est devenu président de la commission des Affaires économiques.

Il ne fait pas de doute que, dans plusieurs situations, un certain nombre d’opportunistes se sont servis de leur position dans l’État congolais pour s’enrichir personnellement en « fermant les yeux » sur certaines choses. Mais, en comparaison avec les bénéfices des multinationales minières, ils n’ont tout au plus récolté ici que des miettes.

4°) L’actuel gouvernement, qui a fait établir ce rapport, est d’un tout autre calibre. Il résulte d’élections. Il est à remarquer que peu de commentateurs font la distinction entre ce gouvernement constitué autour de l’alliance entre Kabila et Gizenga et le précédent « gouvernement de transition ». Gizenga est connu pour son intégrité. Son parti est à peu près le seul à ne s’être jamais compromis avec le mobutisme. Gizenga avait déjà été Premier ministre sous Lumumba. Il n’a jamais été, il est vrai, un révolutionnaire comme son camarade de parti Mulele, mais, depuis les années 1960, il s’est toujours opposé à la dictature. Le parti de Gizenga, le PALU, a été le seul qui, sur base de son organisation et de sa force de conviction, et non sur base de l’argent, ait obtenu des résultats spectaculaires lors des élections (14 % au premier tour).

Le choix de Joseph Kabila de s’embarquer avec Gizenga précisément a causé pas mal de tiraillements au sein de sa propre famille politique où de nombreux opportunistes et anciens mobutistes s’étaient emparés de postes importants au gouvernement.

Ce n’est pas un hasard si la commission chargée d’examiner les contrats a été instaurée par le ministre des Mines, un membre du PALU. Et que c’est également ce ministre qui a annoncé la publication du rapport. La « Task Force », un groupe de travail qui devra assurer le suivi et se charger des négociations avec les compagnies minières, est un reflet de l’alliance gouvernementale .

Les entreprises minières ont fait inscrire des clauses particulièrement hermétiques dans les accords et elles disposent des meilleurs juristes en vie de défendre leurs intérêts devant les instances internationales. L’alliance Kabila-Gizenga n’est pas une alliance révolutionnaire. Elle ne prendre vraisemblablement pas de mesures révolutionnaires telles l’expropriation ou la nationalisation. Cette commission va donc plutôt louvoyer et elle évitera plus que probablement les grosses confrontations. Mais on ne peut tout simplement trouver au Congo d’autre force ou alliance politique susceptible de mener ces négociations de façon plus intègre.

par Tony Busselen

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