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Conférence de Jean-Louis Joachim sur la Révolution cubaine et Fidel Castro

Conférence de Jean-Louis Joachim sur la Révolution cubaine et Fidel Castro

   Directeur du département d'Etudes hispaniques de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l'Université des Antilles (campus de Schoelcher), Jean-Louis JOACHIM, maître de conférences en espagnol, a prononcé une brillante conférence sur la Révolution cubaine devant un amphithéâtre Hellène Sellaye bondé, le jeudi 01 décembre. En voici le texte...

PROPOS LIMINAIRES

Je ne suis pas Cubain. Je suis historien de la Révolution cubaine. J’ai lu beaucoup d’écrits favorables et défavorables à la Révolution cubaine et à Fidel Castro. Je ne suis ni castriste, ni anticastriste. J’effectue des recherches, je lis, je prends de la distance et j’analyse autant que possible dans le respect, sans esprit partisan. Je n’ai jamais fait l’éloge de Fidel Castro, ni celui de ses opposants. Je suis historien, cubaniste, pas homme politique.

INTRODUCTION

La Révolution cubaine est rentrée dans l’Histoire un jour d’octobre 1953, lorsque son principal dirigeant prononça en guise de défense face au Tribunal de fortune constitué par des magistrats corrompus, un réquisitoire implacable contre la dictature de Fulgencio Batista, conclu par cette phrase, désormais célèbre : « condenadme, no me importa, la Historia me absolverá ». Phrase traduite comme suit : « condamnez-moi, peu m’importe, l’Histoire m’acquittera ».  En ce jour d’octobre 1953, Fidel Castro refusa le jugement des hommes, oserais-je dire des « simples mortels » et admit pour seul et unique juge l’Histoire, le temps qui passe. La Révolution cubaine commença en ce 16 octobre 1953 un long, fructueux et délicat dialogue avec l’Histoire, celle qu’elle bâtissait et écrivait sous les yeux des Cubains et du monde et celle qu’elle léguait aux générations futures. Avec le décès de Fidel Castro, le 25 novembre 2016, de nombreux analystes se demandent si l’Histoire de la Révolution cubaine est arrivée à son terme, comme la vie de son principal dirigeant. Si le temps de la Révolution cubaine est désormais compté voire achevé. Dans le cadre de cette conférence, nous ne nous livrerons pas à de la politique fiction. Mais nous interrogerons le temps fidéliste de la Révolution cubaine (1953-2011) pour le défaire et proposer une relecture de la Révolution. Le rapport de la Révolution cubaine au temps est-il, comme nous le présentent les médias une simple question de guerre froide qui s’installe en Caraïbe et se prolonge au-delà des limites historiques communément reconnues ? N’est-ce pas plutôt sous une linéarité apparente, le temps tourmenté et discontinu de la Révolution cubaine qui rend cette dernière si insaisissable et donne à cette page de nos histoires, collective et personnelle, toute son envergure, toute sa sève et tout son sens ? Le temps fidéliste de la Révolution n’est-il pas aussi celui de la construction permanente, vivante, dussé-je dire en direct d’un mythe dont nous avons été quelque soient nos opinions et nos obédiences, les collaborateurs conscients ou inconscients ?

 

 

 

 

1

L’apparente linéarité du temps révolutionnaire est due principalement à l’exceptionnelle permanence de Fidel Castro au pouvoir, à sa longévité politique. Pendant plus de cinquante ans parler de Cuba c’était parler de Fidel, de Fidel Castro, ou de Castro tout court. Pendant plus de cinquante ans écouter Cuba c’était écouter la voix de Fidel Castro. Le commandant en chef de la Révolution cubaine, principal narrateur et personnage d’un roman collectif écrit à la première personne, du singulier et du pluriel, charismatique, érudit, querelleur, charmeur, implacable, orateur hors pair et infatigable a offert à Cuba et au monde un récit en continu de la Révolution cubaine. Véritable verbe révolutionnaire incarné, Fidel Castro a enrichi le lexique des hommes et des femmes du monde entier du mot « Révolution » et de ses multiples déclinaisons. D’où les gros titres de nombreux médias occidentaux qui mettaient en évidence le 26 novembre 2016 : « la mort du dernier révolutionnaire ». Fidel Castro nous a raconté une Révolution, il nous a raconté une Histoire et souvent raconté des histoires. Et il nous a donné l’impression que l’Histoire était toujours la même et qu’elle n’avait ou n’aurait pas de fin.

Le temps révolutionnaire fidéliste a pour autre élément constitutif l’anti-impérialisme impénitent, l’affrontement en continu avec les États-Unis, première puissance mondiale. De janvier 1959, date de la constitution de la première Task Force dans le but de renverser Fidel Castro par les armes, à la loi Helms-Burton interdisant aux pays amis des Etats-Unis de commercer avec Cuba sous peine de sanctions lourdes, Cuba ce petit pays de la Caraïbe grand comme cent fois la Martinique a subi en continu les foudres de Washington. L’anti-castrisme primaire des gouvernements américains successifs, d’Einsenhower à George Bush fils, fait partie intégrante de l’Histoire de la Révolution cubaine, il la sédimente. Grâce aux Etats-Unis l’Histoire de la Révolution cubaine est celle de la lutte d’un peuple, guidé par un homme, vers la souveraineté et la liberté. Face aux Etats-Unis impérialistes, l’Histoire a retenu la constance et la résilience de la Révolution cubaine, arc-boutée depuis 1959 sur le principe fondamental du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.  L’hostilité viscérale, maladroite et maladive de Washington à l’endroit de la Révolution et de son principal dirigeant a servi grandement les desseins de Fidel Castro trop heureux de trouver un ennemi extérieur de grande envergure, vaincu en avril 1961 à Playa Girón, tantôt désabusé, menaçant, attentiste, mais jamais indifférent qui lui offre une stature internationale. L’Histoire de la Révolution cubaine en résistance est avant tout celle d’une infinité d’attentats perpétrés par la CIA contre Fidel Castro et celle d’un blocus naval commencé sous Kennedy, puis devenu embargo en 1962 et qui demeure encore en 2016, malgré l’hostilité de la communauté internationale. C’est l’Histoire d’un pays ne pouvant pas importer de médicaments, ni d’engrais, ni acheter de pétrole, ni vendre ses productions dans des conditions normales, ni accueillir comme il se devait des capitaux étrangers car des lois adoptées dans un autre pays, plus puissant que lui, l’en empêchaient. Le temps révolutionnaire est celui de la résistance face à un ennemi extérieur qui trouve des alliés sur le territoire de la Révolution et qui redessine l’espace politique cubain en le prolongeant jusqu’en Floride, avec la Cuban Adjustment Act signée par le Président Johnson, successeur de Kennedy en 1966. Cette loi offre en effet à tout Cubain arrivé aux Etats-Unis et désireux de s’y établir le statut de résident, sans autre forme de procès. Les États-Unis, et particulièrement la Floride, accueilleront une très grande partie de l’opposition interne à Fidel Castro, contrainte à l’exil.

La notion d’ennemi intérieur, puisque c’est d’elle qu’il s’agit est un concept opératoire dès le lendemain de la prise de pouvoir en janvier 1959. Elle est un autre élément constitutif de la linéarité du temps révolutionnaire. Même si les autorités révolutionnaires ont parfois prétendu le contraire, il y a toujours eu une opposition à la Révolution, et par-delà celle-ci, aux côtés de celle-ci ou en sus de celle-ci il a toujours existé une opposition à Fidel Castro lui-même, à Fidel Castro en tant qu’incarnation de la Révolution. De nombreux détracteurs de Fidel Castro se sont élevés contre sa confiscation du pouvoir aux dépends d’autres figures telles que Che Guevara, Camilo Cienfuegos, Raul Castro ou encore Huber Matos. Dès le mois de mai 1959, mois de la Réforme agraire, les grands propriétaires terriens de la région de Trinidad se rebiffent et arment une guérilla qui demeurera active dans les montagnes de l’Escambray jusqu’en 1961. Cette guérilla contre-révolutionnaire que les autorités cubaines ont fait passer pour du grand banditisme et qui n’en a jamais été, était censée accueillir le débarquement d’avril 1961, qui eut lieu à la Baie des Cochons car les montagnes avaient été préalablement, selon la terminologie révolutionnaire, « nettoyées ». Les ennemis intérieurs de la Révolution sans doute en lien étroit avec l’ennemi extérieur perpétuent entre 1959 et 1962 une moyenne de deux attentats par jour sur le sol de Cuba, le plus célèbre et sans doute le plus sanglant ayant frappé La Coubre, navire frappant pavillon belge qui approvisionnait la Révolution en armes et qui explosera le 4 mars 1960  dans le port de La Havane, à une heure de grande affluence, faisant une centaine de victimes et autant de blessés. Souvent frappée, mais toujours debout, la Révolution cubaine n’a jamais cessé la lutte contre l’ennemi intérieur, qu’il s’agisse de contre révolutionnaires ou de dissidents. La contre-Révolution étant officiellement éradiquée sur le sol cubain vers 1965 environ, elle est remplacée par la dissidence, une forme moins virulente d’opposition, avec pour principale revendication le respect des droits de l’homme et en particulier de la liberté d’expression. Incarnant la Révolution et le verbe révolutionnaire, Fidel Castro a fixé les limites de la liberté et effacé les limites de l’intolérance et du totalitarisme, lors d’une rencontre mémorable avec les intellectuels et artistes du pays en juin 1961, quelques semaines après l’affaire de la Baie des Cochons. L’Histoire retiendra de cette rencontre une formule lapidaire : « con la Revolución, todo ; contra la Revolución, nada » (« Avec la Révolution , tout ; contre la Révolution, rien »). Rien. C’est ce que laisse la Révolution à ceux qui lui tournent le dos. Aucun avantage social, aucun droit aux études, aucune existence officielle. Les dissidents sont violemment rejetés, placés dans un hors-temps qui, lui aussi est constitutif de la temporalité linéaire révolutionnaire. Entendons-nous bien, le hors-temps est historique. Rappelons-le, la Révolution dialogue avec l’Histoire. Elle est la seule habilitée à le faire. Elle s’est octroyée ce privilège et ce faisant elle relègue les opposants aux oubliettes de l’Histoire. L’Histoire n’aura ni à les absoudre, ni à les acquitter puisqu’elle ne les connaît pas. L’Histoire de Cuba à partir de 1959 a été écrite par les vainqueurs. L’épopée nationale cubaine a été écrite à partir de 1959 par les Révolutionnaires et rétroactivement ces derniers ont réécrit le roman national cubain dans son intégralité depuis le peuplement de la grande île par les Taínos jusqu’aux dernières heures de décembre 1958. Ils l’ont fait d’abord dans le but de réhabiliter des pans entiers de l’Histoire du pays, de réparer des injustices historiques flagrantes et de rendre au peuple cubain le sens de son Histoire. Mais dans cette quête de sens ils ont reformaté l’Histoire antérieure à 1959 en présentant la Révolution de 1959 comme unique point d’orgue possible de la recherche d’une identité nationale cubaine. Etre cubain et être révolutionnaire devenaient donc en tous points équivalents. Des Révolutionnaires du monde entier se rendaient en pèlerinage à Cuba et repartaient dans leur pays en souhaitant y implanter le modèle cubain avec des adaptations plus ou moins importantes. La Martinique, bien entendu, n’échappera pas à cette règle. Si être Cubain revenait à être révolutionnaire, ceux qui trahissaient la Révolution ou s’en détournaient pour quelque motif que ce fût, étaient exclus de la communauté nationale. Les catholiques fervents, les homosexuels, les jeunes avides d’ouverture à la fin des années soixante, les écrivains adeptes de l’art pour l’art, ceux qui refusaient d’aller dans les champs, sont mis au ban de la société, incarcérés, renvoyés de leur travail ou mis au placard ou pour certains envoyés de force dans des camps révolutionnaires de redressement, les UMAP, Unidades Militares de Ayuda a la Producción. Quelques Cubains célèbres ont été victimes de ces années qu’Ambrosio Fornet, entre pudeur et autocensure, qualifie de « grises » : Mgr Jaime Ortega, archevêque de La Havane ; Pablo Milanés, chanteur lié au mouvement de la Nueva Trova et les écrivains José Lezama Lima, Virgilio Piñera et Reinaldo Arenas. Plus tôt, au début des années soixante, les classes moyennes supérieures et la bourgeoisie cubaine favorables au régime de Batista, avaient rapidement quitté le pays. La diaspora cubaine, connue officiellement sous le nom de « cubanos del exilio » prend naissance. A La Havane, la notion même du « peuple cubain », passée au lit de Procuste du marxisme-léninisme avait été redéfinie par la Révolution et son leader et limitée aux seules « masses laborieuses ». Plus tard, lorsque les vagues d’immigrés cubains déferlent sur la Floride dès 1965 (« Camarioca »), La Havane, par la voix du Commandant en chef de la Révolution les affuble dans ses discours de surnoms peu ragoûtants (« escoria », « gusanos » et j’en passe). L’Histoire de l’exil s’écrit dans l’anonymat des destins individuels brisés puis reconstruits, déconnectée de la nouvelle Histoire de la Nation cubaine, et pourtant intrinsèquement liée en même temps à l’Histoire de la Révolution cubaine et si peu connue hors des États-Unis. La Révolution mettra un point d’honneur, et ce de manière constante à les stigmatiser et les rejeter, à les priver de la nationalité et à confisquer leurs biens. Les plus virulents d’entre eux créeront dès le 28 janvier 1959 à Washington l’organisation terroriste « La Rosa Blanca », mère de toutes les organisations terroristes cubano-nord-américaines et du sein de laquelle sortira Luis Posada Carriles, individu exécrable, terroriste cubain sans foi ni loi, trop brièvement incarcéré, actuellement libre et toujours protégé par la CIA et le FBI, auteur de l’attentat contre le vol 455 de la Cubana de Aviación qui se dirigeait de la Barbade à la Jamaïque le 6 octobre 1976. L’attentat fit 73 victimes civiles. Vingt-deux ans plus tard, le petit Elián González échoue à moitié mort sur les côtes de la Floride et la communauté cubaine de Miami saisit la balle au bond pour faire le procès médiatique de la Révolution cubaine. Un procès maladroit, un procès mal venu, un procès qui apparaît comme malhonnête car le sort d’un enfant ne saurait se jouer des lois internationales et nord-américaines en particulier. La haine et la rancœur de la communauté cubaine de Miami ne saurait justifier que l’on bafoue le droit élémentaire d’un enfant à être avec son père. La justice étasunienne remet l’enfant à Juan Miguel González au terme de quatre mois de bataille médiatique et judiciaire. La communauté cubaine de Miami s’est publiquement discréditée et ridiculisée devant les caméras du monde entier en faisant apparaître Fidel Castro comme un parangon de vertu et un démocrate vigilant, aux yeux de l’opinion publique internationale. La Révolution cubaine a beau jeu, qui rappelle que les droits de l’enfant sont uns des axes principaux de son programme social. Elle en sort renforcée et requinquée à l’image de son leader, confronté aux bourrasques de la période spéciale qu’il a lui-même créée. En fait, si l’on y regarde de plus près l’ennemi intérieur et l’ennemi extérieur, qui parfois se confondent, ont tous deux légitimé les options répressives ou restrictives prises par le pouvoir révolutionnaire au fil des années et ont tous deux permis aux révolutionnaires d’expliquer jusqu’à aujourd’hui l’instauration à Cuba d’un régime totalitaire pour mieux contrôler la population et faire face aux éventuelles agressions venues de l’intérieur comme de l’extérieur. L’Histoire retiendra sans doute que les enjeux géopolitiques et nationaux étaient capitaux, en période de guerre froide et que la Révolution a choisi un cap, celui de résister. Mais cette Révolution ne s’est pas construite que sur la linéarité de la résistance. Dans l’Histoire de La Révolution, le temps est souvent apparu comme tourmenté et discontinu, un peu à l’image de la période dans laquelle la Révolution entendait s’inscrire.

 

 

 

 

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Aux premières heures de janvier 1959, le dictateur Fulgencio Batista et ses proches quittent Cuba emportant dans leurs valises 300 millions de pesos (de dollars) dérobés au peuple cubain. Le départ de Fulgencio Batista surprend Fidel Castro lui-même, l’obligeant à clôturer le temps de la guérilla pour s’inscrire dans le temps du gouvernement. La temporalité, devrais-je dire le tempo, n’est pas le même, et les premières semaines voire les premiers mois de la Révolution sont marqués par une certaine forme d’improvisation, d’amateurisme. Le leader de la Révolution a trente-trois ans, aucune expérience politique mais un égo surdimensionné, et il décide de traverser le pays d’un bout à l’autre pratiquement pour permettre à la population d’acclamer les nouveaux maîtres du pays. Les affaires politiques sont laissées aux mains de Manuel Urrutia, le nouveau président de la République cubaine et de son premier ministre José Mirٌó Cardona. Mais l’omniprésence médiatique de Fidel Castro et Che Guevara, notamment, rend inaudible le gouvernement. Les figures de proue de la Révolution phagocytent l’action et la communication gouvernementale et le camp de l’opposition républicaine à Fulgencio Batista dont la Révolution a tenté d’effacer toute trace historique, s’impatiente. La Révolution cubaine qui établit ses quartiers à l’Hôtel Hilton, rebaptisé Habana Libre, refuse de rejoindre les anciens palais et ministères et balaient d’un revers de main toute question sur l’avenir politique immédiat du pays. « ¿Elecciones para qué ? Ya el pueblo ha elegido. » (Des élections pour quoi faire ? Le peuple a déjà choisi), répond Fidel Castro aux journalistes et à ses alliés du Front Démocratique anti-Batista. Contrairement à ce que pense une majorité d’alliés de Fidel Castro, la Révolution ne s’arrête pas le 1er janvier 1959. Elle ne fait que commencer. Les couches populaires et les classes moyennes suivent aveuglément Fidel Castro ce qui entraîne une cacophonie politique indéniable au sommet de l’Etat cubain et coûte leur place à Miró Cardona (remplacé par Fidel Castro en février 1959) puis à Manuel Urrutia remplacé par Oswaldo Dorticós en juillet de la même année. Toujours sans élections. Les décisions les plus importantes sont prises sous forme de décret ou validées par acclamation populaire : la baisse des loyers, la gratuité des transports et des services, la Réforme agraire de mai 1959. La représentation nationale n’existe plus, le commandement de la Révolution est à la fois pouvoir législatif, exécutif et judiciaire.  Tout cela ne s’est pas fait sans heurts, sans oppositions, y compris internes. Ajoutons à cela que l’exercice du gouvernement d’un pays exige de la préparation, ce qui justement manquait aux Révolutionnaires plus habitués à suivre un chef qu’à poser des questions, plus habitués à écouter un chef qu’à s’informer et se former. Dans un pays exsangue, profondément sinistré par l’extension de la guérilla dans les villes, les portefeuilles ministériels sont distribués sur la seule base de la loyauté des uns et des autres au chef, sans aucun rapport avec leurs compétences réelles. Le cas le plus célèbre étant celui de Che Guevara à qui l’on confia le secteur clé de l’économie et qui conduisit le pays à la ruine et au sous-développement. Beaucoup de ceux qui composaient les premiers gouvernements révolutionnaires n’avaient aucune connaissance des dossiers qui leur étaient confiés et devaient constamment en appeler à Fidel Castro, omniscient, omnipotent et omniprésent Commandant en chef de la Révolution. Cette situation provoqua deux premières fractures et une importante disparition au sein de la Révolution. L’affaire Huber Matos et le départ prévisible de Che Guevara.  Le 28 octobre 1959, Huber Matos, figure de la Révolution et commandant militaire de Camagüey dénonce le non-respect des accords révolutionnaires et se soulève contre Fidel Castro. Ce dernier dépêche sur les lieux Camilo Cienfuegos qui, convaincu par Matos, rentre en avion le jour même à La Havane pour s’entretenir avec Fidel Castro et le Che. Son avion disparaît en mer faisant de lui le premier martyr de l’Histoire officielle de la Révolution cubaine. Huber Matos pour sa part sera jugé sommairement, incarcéré pendant vingt ans et effacé de l’Histoire officielle qu’il avait pourtant co-écrit. Homme pieux, profondément digne et conscient du rôle qu’il a joué dans l’Histoire, il décédera en 2014 à Miami à l’âge de 95 ans. Le départ du Che Guevara est lui aussi lié à des désaccords politiques et économiques profonds. Le programme des Moncadistes, auquel le Che avait souscrit a posteriori reposait sur deux piliers : d’une part la libération politique et le non alignement, d’autre part la fin des monopoles et le développement d’une économie diversifiée, exploitant les nombreuses ressources du pays. Une fois parvenu à la tête du secteur économique, le Che appliqua strictement le programme auquel il avait souscrit. Mais les enjeux géopolitiques et l’entrée de Cuba dans la guerre froide en avril 1961 avec la proclamation du caractère socialiste de la Révolution et la crise des fusées d’octobre 1962, obligeait à une révision des principes mêmes qui avaient fondé le Mouvement du 26 Juillet, principes politiques et principes économiques. Il fallait donc rompre avec la linéarité du temps révolutionnaire et opérer une bifurcation, un renoncement pour garantir la pérennité de la Révolution. C’est cette voie qu’emprunta Fidel Castro à partir de 1964, celle d’une économie dépendante du Bloc de l’Est et d’un système politique qui serait à terme calqué sur celui des Pays satellites de l’URSS. Adepte d’un socialisme à la cubaine, apôtre d’une troisième voie, à équidistance du socialisme soviétique et du socialisme chinois, Che Guevara refusa la soviétisation du pays et se retrouva vite en porte-à-faux avec le Commandant en chef de la Révolution. Son départ, forme d’exil volontaire dont on connaît l’issue tragique, signa la fin du non alignement cubain et de l’improvisation économique et politique à la tête du pays. Avec le départ du Che prend fin l’insouciance et l’expérimentation révolutionnaires. Le temps de l’étatisation de la Révolution commence. Le nouveau Parti Communiste Cubain vit son premier Congrès en 1965, le quotidien Granma organe officiel du PCC publie ses premiers numéros, les camps de redressement pour dissidents voient le jour. Cuba appuie l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968, la production annoncée de 10 millions de tonnes de sucre se solde par un échec, puis éclate l’affaire Padilla, du nom du poète et dramaturge cubain Heberto Padilla emprisonné en 1971 pour ses écrits littéraires, puis libéré et contraint à une autocritique publique. Cette affaire signe le divorce de la Révolution avec une partie de l’intelligentsia cubaine, européenne et latino-américaine. Des intellectuels tels que Jean-Paul Sartre ou Julio Cortázar rompent définitivement avec la Révolution cubaine et son leader. C’est le temps de la désillusion qui s’ouvre. Bientôt des élections, les premières depuis 1959, viendront clore et sédimenter en 1976 le processus de soviétisation de la Révolution cubaine. Fidel Castro prend la tête à la fois du Conseil d’Etat, organe suprême de la Révolution et du Conseil des Ministres. L’ancien président Oswaldo Dorticós intègre le Conseil d’Etat en tant que simple membre. Accusé de trahison envers la Révolution, il se suicidera quelques années plus tard. Au cours des années soixante-dix, la Révolution cubaine se sédimente mais elle donne l’impression de s’être figée, durcie dans un temps qui n’est pas le sien, d’être prisonnière de la planification et d’avoir tourné le dos à la construction révolutionnaire et à une partie du peuple cubain qui portait à bout de bras cette Révolution.

Les événements migratoires graves de Mariel tendent à avaliser cette thèse. En avril 1980, c’est l’exaspération d’une partie de la population qui s’exprime avec violence. Le Commandant en chef de la Révolution n’a pas d’autre choix que laisser près de 125,000 Cubains quitter le pays pour les Etats-Unis. Il favorisera en priorité le départ d’homosexuels, de repris de justice et de malades du SIDA honnis par la Révolution qui encourage ses partisans à organiser des rassemblements de répudiation devant le domicile des candidats à l’exil, à les insulter, à les frapper, à leur lancer des œufs pourris à eux et à leurs proches qui souvent ne sont pas autorisés par les autorités à quitter le pays. Les événements de Mariel traduisent le réveil d’une société civile à Cuba, de personnes qui font passer leurs vies avant la Révolution et qui jugent cette dernière à l’aune de leur niveau de vie. Leur niveau de vie stagnant, leur estime de la Révolution ne décolle pas. L’économie cubaine, certes sous perfusion soviétique, mais sous embargo américain, n’arrive pas à améliorer ses performances alors que tous les économistes s’accordent à reconnaître l’exceptionnel potentiel de développement de la Grande île. Cuba survit en pleine guerre froide, prisonnière de ses pesanteurs, otage de sa bureaucratie, victime d’une planification trop rigoureuse et inadaptée à la société du pays. Bientôt, le temps appelle des changements brusques qui ont pour nom Glastnost, Perestroïka, changements auxquels Fidel Castro se refuse, positionnant la Révolution cubaine à rebrousse-temps, dans une guerre froide qu’il choisit de prolonger, alors même que celle-ci s’est arrêtée. D’un point de vue géopolitique, Cuba se retrouve isolée. L’on ne trouve guère que les pays de l’Union Africaine, qui applaudissent l’intervention cubaine en Angola, retentissant succès militaire et diplomatique, pour saluer un Fidel Castro désormais très critiqué, incompris sur ses propres terres. L’affaire Ochoa, du nom du Général Arnaldo Ochoa Sánchez, commandant de l’Opération Carlota, héros d’Angola et de la République de Cuba restera comme la dernière fracture profonde et impossible à résorber sur la ligne temporelle de la Révolution cubaine. Jugé comme un vulgaire voyou pour trafic de drogue, dans un procès inique, alors qu’à Cuba et ailleurs nul ne pouvait penser qu’il n’eût pas agi sur ordre, il sera fusillé après avoir été reconnu coupable de haute trahison. A Cuba, il y a un avant et un après l’Affaire Ochoa ; une impression de délitement moral de la Révolution qui n’existait pas avant cette affaire et qui depuis perdure dans les couches les plus modestes de la population cubaine. Privé de son dernier héros, plongé dans la « Période Spéciale en temps de paix », cortège de privations en tous genres, conséquences dramatiques de l’effondrement fulgurant du Bloc de l’Est sur l’économie cubaine et la population de l’île. Avant 1990, Cuba avait la société la plus égalitaire de toute l’Amérique, et l’une des plus égalitaires du monde. Depuis 1990, la Période Spéciale a involontairement déconstruit socialement la Révolution, creusé un fossé entre les détenteurs du dollar et les autres, ravivé la prostitution, dopé les mariages mixtes, réveillé la délinquance, poussé les balseros cubains hors de l’île au péril de leurs vies et commencé le récit de la chronique d’une mort annoncée, celle d’une Révolution devenu schizophrène et de son principal dirigeant, autiste face aux mutations historiques.

 

3

Pourtant, la Révolution cubaine n’a jamais perdu sa popularité dans l’opinion publique internationale et l’île attire toujours chaque année près de trois millions de touristes. Ce phénomène n’est pas sans rapport avec la construction minutieuse au fil des années d’un mythe révolutionnaire, d’une histoire qui s’étend au-delà de son temps, une histoire racontée au monde par le grand dirigeant d’un petit pays d’Amérique Latine, qui a eu l’outrecuidance et le génie de réchauffer la Guerre Froide.

L’on savait peu de choses sur Cuba avant 1959. Les diffusions internationales des images de l’île étaient comptées. Les rebelles du Mouvement du 26 Juillet, retranchés puis établis dans la Sierra Maestra, vont entreprendre une vaste opération de médiatisation de leur lutte. Radio Rebelde voit le jour et émet depuis les montagnes. Les voix de Fidel Castro et de Che Guevara s’entendent dans la plaine. Le cinéaste Alfredo Guevara, ami de Raul Castro, prend la direction du Département de cinéma de la Révolution, ancêtre de l’ICAIC, Institut cubain d’Art et d’Industrie Cinématographiques créé dès 1959. Le grand reporter et éditorialiste du New-York Times Herbert Matthews passe plusieurs jours dans la Sierra Maestra et photographie à tour de bras les révolutionnaires qui seront projetés en pleine lumière médiatique quelques jours plus tard. En France c’est l’hebdomadaire Paris-Match qui publie le reportage photo de Matthews, véritable point de départ du roman-photo de la Révolution cubaine dirigée par Fidel Castro, roman-photo qui se poursuivra avec le fameux cliché d’Alberto Korda, le guérillero héroïque, du Che coiffé de son bonnet étoilé, s’achèvera le 25 novembre dernier par la publication de la photo de Fidel Castro post mortem. Au vingtième siècle et en ce début de vingt et unième siècle, jamais dirigeant n’a été autant photographié, interviewé, filmé, écouté que Fidel Castro. Et avec lui Cuba, puisque la Révolution cubaine et son principal dirigeant ne font qu’un. Les images de la Révolution cubaine, joyeuse et triomphante, font le tour du monde, la voix de Fidel Castro ne résonne pas seulement dans les foyers de Cuba. L’Homme acquiert une stature mondiale, par l’image et le verbe. Et c’est ainsi que naît le mythe de l’homme qui parlait à l’oreille du peuple, inlassablement, à toute heure.

Le mythe de la Révolution cubaine ne repose pas que sur Fidel Castro, sa voix et son image. L’une des plus grandes réussites de la Révolution cubaine en termes d’image a été d’avoir su, d’avoir pu attirer le regard du monde sur la société révolutionnaire cubaine et ce qu’elle avait de différent, d’unique. Il est souvent plus facile de développer l'économie d'un pays que d'en combattre les inégalités sociales et l’on peut vivre encore mal dans certains pays dont les indicateurs économiques font pâlir d’envie les analystes internationaux. La Révolution cubaine a réussi exactement l’inverse. Cuba avant 1959, était un pays profondément inégalitaire. L'on y mourait d'une crise d'appendicite, faute de soins et les couches populaires n'avaient pas accès à une éducation digne de ce nom. La Révolution entendait changer tout cela. Elle y est parvenue avec brio, malgré les difficultés. Dès 1959, les premiers gouvernements révolutionnaires ont pris des mesures radicales, permettant une amélioration des conditions de vie des Cubains les plus modestes. A cet égard, la lutte contre l'analphabétisme a été le premier combat victorieux sur le plan social. Lorsque les Révolutionnaires arrivèrent au pouvoir, il fallut reconstruire un système de santé performant, dont les principaux cadres avaient quitté le pays. Le système éducatif était dans le même cas. Il fallut réinventer une éducation, sur des bases nouvelles, le tout sans moyens financiers, ou presque, et de surcroît sous embargo américain. Un défi quasiment impossible à relever et des résultats époustouflants, reconnus par des organismes indépendants et des économistes anticastristes tels que Carmelo Mesa-Lago. Cuba compte aujourd’hui un enseignant pour 10 élèves, l’un des ratios les plus bas au monde et l’endoctrinement castriste, inhérent aux programmes scolaires, ne suffit pas à faire oublier cet état de fait. Avec un médecin pour 148 habitants, Cuba est le pays au monde le mieux doté dans ce secteur et est à la pointe de l'innovation en termes de recherche contre le cancer, contre le diabète, contre le vitiligo et le VIH, contre le vieillissement pour ne citer qu'eux et ce malgré les contraintes absurdes et scélérates imposées par les Etats-Unis. De quoi faire pâlir d'envie les chercheurs des pays occidentaux qui disposent de budgets faramineux. La Révolution cubaine, et il faut lui rendre tribut, a su insuffler au peuple cubain l’esprit de sacrifice l'envie d'apprendre, une connaissance hors pair des apports nutritionnels, un goût immodéré pour l’effort et la pratique sportive, la création littéraire et artistique et la population de l’île est aujourd’hui l’une des plus cultivées de la planète. Dans le domaine sportif, les médailles cubaines aux Jeux Olympiques, Jeux Panaméricains et championnats du monde ne se comptent plus, témoignant d'une "école cubaine" où sport amateur ne rime pas avec amateurisme, où l'humain est la base, le centre et l'aboutissement de tout, aux antipodes de l'"école chinoise" ou de l'"école russe".  Tout cela, n’en déplaise à certains, est à mettre au crédit de Fidel Castro. Car si nous admettons qu’il a incarné, piloté, dirigé, personnalisé chacune des décisions prises par la Révolution dont il fut l’auteur, il serait absurde de nier le rôle essentiel de Fidel Castro dans les résultats de son pays en matière d’éducation, de culture, de santé et de sport, piliers du rayonnement révolutionnaire dans le monde. Cuba a atteint l’excellence dans bien des domaines au prix de sacrifices imposés par son principal dirigeant. Cuba a longtemps renvoyé au monde, à travers les média cubains et étrangers, par-delà la manipulation politique souvent présente, l’image d’une société où l’on pouvait vivre solidairement sans argent, où il n’y avait que le patriotisme ou la mort comme alternative, où l’on écoutait avant tout de la musique cubaine, où l’on mangeait de la cuisine cubaine, où le sport national avait droit de cité comme dans aucun autre pays du monde. Cuba révolutionnaire a révolutionné le regard que le monde portait sur l’île et sur les Révolutions. Le mythique Commandant en chef de la Révolution a créé le mythe de la révolution totale, qui a défaut d’être parfaite se dressait avec fierté et dignité au Tribunal de l’Histoire. Rappelons-nous le discours d’adieu aux victimes de la Coubre et de l’attentat d’octobre 1976, rappelons-nous la lecture digne et poignante de la lettre d’adieu du Che Guevara ou la chanson de Carlos Puebla « hasta siempre » qui firent le tour du monde. Le mythe se nourrit de héros. Che, guérillero héroïque, adulé à juste titre ou détesté avec raison est utilisé malgré lui pour braquer encore davantage les projecteurs sur la Révolution. L’Argentin devenu Cubain devient la première figure mythique révolutionnaire cubaine. Camilo Cienfuegos n’y a pas droit, mort trop tôt, trop jeune, et trop méconnu hors de Cuba. Au plus fort de l’anticléricalisme cubain, le portrait du Che, souvent comparé au Christ, est placé dans des églises. La Révolution a trouvé son premier héros, son premier saint. Elle lui fera un mausolée.

Pas de mythe sans récit des origines et à l’origine était José Martí, l’Apôtre de l’Indépendance qui n’a jamais été communiste et qui deviendra malgré lui auteur intellectuel de la Révolution, apôtre de la Révolution cubaine et otage de la communauté cubaine de Miami. Il est celui qui trône aux côtés du drapeau, sur la Place de la Révolution où convergent les masses soigneusement encadrées et où Fidel Castro, l’ancien élève des Jésuites, officie pendant des heures. Il est celui dont la pensée s’affiche en toutes lettres sur les murs de la Révolution et auquel d’autres mythes, amis du mythique Fidel Castro, viennent rendre hommage : Sartre, avant la rupture ou Maradona, le demi-Dieu argentin, pour ne citer qu’eux. 

Il n’est de mythe plus accompli que celui qui prend ses racines dans le peuple, pour s’élever au-dessus du peuple, suscitant admiration et crainte. Tout en soignant sa démesure, Fidel Castro a pris le temps d’insister sur sa stature humaine, jouant au base-ball au début du temps révolutionnaire ou plus récemment encore avec son ami et disciple Hugo Chávez, adoptant un style de vie d’ascète, travaillant et consultant jusqu’à des heures indues, dormant peu, poussant son organisme jusqu’à l’extrême, jusqu’à l’infarctus mésentérique qui l’amènera à renoncer au pouvoir en direct devant les caméras de télévision disposées autour de son lit d’hôpital en juillet 2008.

L’Histoire de Fidel Castro se referme sur de troublantes coïncidences. Le décès du Comandante en jefe, annoncé dans la nuit du 25 novembre 2016, n’est pas sans rappeler une autre nuit, celle du 25 novembre 1956, au cours de laquelle le Granma et ses 81 occupants prirent la mer en direction des côtes cubaines. Les neuf jours de deuil national décrétés par les autorités cubaines rappellent curieusement la neuvaine aux morts, un clin d’œil de l’Histoire au passé de Fidel Castro chez les jésuites. Enfin l’inhumation de l’ancien dirigeant cubain le 4 décembre, jour de Santa Bárbara (Changó) dans la Santería, peut-elle être perçue comme un pur hasard ? Par-delà la mort, le mythe trace son sillon.

 

CONCLUSION

Pour propager le mythe, il fallut y croire, beaucoup y ont cru et y croient encore. Nous avons tous une histoire personnelle, parfois même à notre corps défendant avec la Révolution cubaine et son dirigeant, aujourd’hui décédé. La Révolution cubaine n’a laissé personne indifférent. Elle nous a montré mieux que tout autre Révolution que les routes de l’Histoire sont sinueuses et escarpées, qu’une Révolution, comme l’indique son sens étymologique ne saurait être rectiligne ; qu’il n’y a pas que le jugement de l’Histoire qui soit important mais que celui des hommes l’est tout autant et que si nous nous enfermons dans un jugement définitif et partial nous serons pires que les juges véreux qui condamnèrent les Moncadistes à de lourdes peines de prison ou de travaux forcés. La Révolution cubaine, dans sa complexité nous fait violence et nous oblige, nous historiens, exégètes, à être précautionneux et respectueux d’une Histoire que nous n’avons pas écrit et qui n’appartient en propre qu’au peuple cubain, à tout le peuple cubain dans son acception la plus large. C’est lui qui maintenant, comme toujours, confronté à un défi de plus, devra tenter le difficile récit d’une histoire polyphonique, la difficile écriture d’un roman national cubain unique, respectueux du passé et soucieux de l’avenir. C’est lui qui devra assumer l’héritage historique révolutionnaire riche et encombrant que lui lègue Fidel Castro, ce sont les Cubains qui devront gérer la permanence du mythe qui longtemps leur a servi de phare ou de repoussoir, qui longtemps les a dirigés et qui désormais les oblige.

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