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"Chlordécone, l'unique objet de mon ressentiment !"

"Chlordécone, l'unique objet de mon ressentiment !"

 Les plus de cinquante ans se souviennent de ce vers de Corneille,  "Rome, l'unique objet de mon ressentiment", avec lequel nos maîtres d'école d'antan avaient bassiné nos vertes années. Aujourd'hui, la culture dite "classique" a été balayée par l'enseignement dit "numérique" dans lequel on survole, on surfe, on zappe.

 Toujours est-il qu'on pourrait pasticher ce vers de la sorte : "Chlordécone, l'unique objet de mon ressentiment". En effet, alors que l'utilisation criminelle de ce pesticide a commencé à être dévoilée et dénoncée depuis au moins quarante ans (notamment par le Martiniquais Pierre Davidas), et n'a cessé, sporadiquement de l'être pendant tout ce temps, il semble être brusquement devenu la préoccupation majeure d'un grand nombre de Martiniquais, notamment de la jeunesse. Excellente chose, diront certains ! Le combat a enfin payé et le peuple a enfin ouvert les yeux ! proclameront d'autres !  En effet, mais...
  Mais...
 Supposons que les revendications aboutissent : que l'Etat français empêche la prescription annoncée des plaintes déposées par nos écologistes, que les responsables de l'empoisonnement (principalement des importateurs et gros planteurs békés) soient traduits devant les tribunaux et condamnés, que des millions d'euros de dédommagements soient attribués aux victimes (ouvriers agricoles de la banane) et à leurs proches, que d'autres millions soient consacrés à la recherche scientifique afin de trouver des méthodes de dépollution de nos sols etc...
  Faisons donc un rêve à la Matin Luther King !
  Supposons que toutes les revendications des anti-chlordécone soient satisfaites, en quoi cela changera-t-il quoi que ce soit à la situation dramatique d'un pays qui, lentement mais sûrement, est en train d'être dilué dans la France et l'Europe ? D'être phagocyté par le départ massif de ses jeunes (4.000 chaque année), l'installation massive de non-Martiniquais, la bétonisation des terres agricoles (1.000 hectares chaque année), le développement de la violence dans les quartiers populaires et du trafic de drogue, le chômage massif (64% des moins de 30 ans), la permanence d'une économie de comptoir mortifère etc...
  Est-ce que concentrer l'essentiel de nos forces dans le combat anti-chlordécone, en faire "l'unique objet de notre ressentiment", ne revient pas à perdre complètement de vue la cause qui aurait dû nous mobiliser tous à savoir la lutte pour l'accession de notre pays à la souveraineté nationale ? Est-ce qu'en fin de compte, cet unique ressentiment, même mêlé à la juste lutte contre l'omnipotence békée, n'arrange pas l'Etat colonial français ? Etat français qui s'est réjoui du résultat catastrophique de la consultation de janvier 2010 sur l'Article 74 lequel nous aurait permis d'avoir un tout petit début de commencement d'autonomie : 79% de "NON".
  Et qui doit aujourd'hui se réjouir également de voir que nombre d'organisations politiques dites anticolonialistes, qui avaient jusque-là porté peu d'intérêt à la question du chlordécone, tenter d'en faire un fonds de commerce, une sorte de fromage permettant, par exemple, à un groupuscule adepte de la révolution permanente de tenter de renaître de ses cendres au moment où ses dirigeants achèvent leur septuagénariat. Ou encore à des jeunes, adeptes de théories afrocentristes et fort justement en colère contre la perduration du système en place, de se livrer à des actions symboliques qui non seulement n'ébranlent pas l'Etat français mais qui en plus, laissent indifférents la majorité des Martiniquais puisque jusqu'à preuve du contraire, cinquante activistes qui bloquent un supermarché béké ou trois cents qui manifestent devant le Palais de justice de Fort-de-France sont loin de représenter les 370.000 Martiniquais.
  Le combat contre le chlordécone et les empoisonneurs békés est une cause juste.
  Cela ne souffre aucune discussion ! Mais est-il le seul que nous devons affronter ? Est-il le principal surtout ? Car enfin même si ce combat obtient gain de cause, 22.000 hectares de terres agricoles continueront à être polluées et pour des siècles. 92% des Martiniquais continueront à avoir du chlordécone dans le sang puisqu'ils ont bu pendant trente ans une eau du robinet gorgée de chlordécone. Combattre les empoisonneurs et réclamer justice est, répétons-le, une cause juste mais y consacrer l'essentiel de notre énergie comme cela semble être le cas aujourd'hui, ne risque-t-il pas de nous conduire à une impasse. Comme en février 2009 ! Un peu plus d'un mois de grève contre la vie chère et contre la "pwofitasion" békée ont certes été nécessaires, mais que constate-t-on une décennie après ? Rien n'a véritablement changé. La grande majorité des supermarchés appartiennent toujours aux Békés. "Notre" économie est toujours pieds et poings liée à la banane et au rhum. La fuite de notre jeunesse et le vieillissement de notre population se sont accentués. Tout comme l'installation de non-Martiniquais. Petit épisode comique (ou plutôt tragi-comique) qui démontre, si besoin est, que les actions symboliques aussi spectaculaires qu'elles soient ne changent rien à notre situation : chacun se souvient de cet activiste franco-béninois que nos activistes avaient fait venir en Martinique et qui, accompagné d'une trentaine de personnes, avait investi le supermarché de Génipa pour y saisir des paquets de sucre fabriqués par l'usine du Galion, ce sucre étant à leurs yeux le symbole de l'esclavage et du pouvoir béké. Déjà, au départ, il y avait une erreur : cette usine n'appartient plus depuis des décennies aux Békés et est financée par nos collectivités locales c'est-à-dire avec les impôts des...Martiniquais. Mais aujourd'hui, tragi-comique avons-nous dit, on apprend, à cause d'un incident fortuit (l'usine a dû rappeler nombre de ces sachets qui contenaient des "résidus métalliques"), que 50% de ce sucre est...importé et non pas fabriqué au Galion. Et importé de quel pays ? "De la communauté européenne", répond embarrassés les responsables, sans plus de précision. Donc, si ça se trouve, les sachets saisis à Génipa par nos activistes n'avaient même pas été fabriqués en Martinique mais aux îles Canaries, aux Açores ou à Madère !!! Ouais... 
  Fermons la parenthèse...
  Le chlordécone est un problème, un très gros problème. Mais le principal, le seul problème, de la Martinique est celui de sa libération du carcan franco-européen autrement dit sa transformation en état souverain comme ses voisins caribéens. C'est une question de survie en tant que peuple. Si en 2050 au plus tard, elle ne devient pas indépendante, c'en sera fini de nous ! Nous finirons comme Hawaï, ces îles de l'Océan pacifique définitivement intégrées aux Etats-Unis alors qu'elles sont situées à 10.000kms de ces derniers (contre seulement 7.000kms pour nous s'agissant de la France). Edouard Glissant, dans son ouvrage magistral, Le Discours antillais (1981), a appelé cela "le processus d'hawaïsation". Ou alors nous subirons un processus de "calédonisation" : deux référendums sur l'indépendance ont été perdus et rien ne dit qu'il en ira autrement lors du troisième et dernier prévu en 2022. Et pourquoi ? Parce que la population autochtone kanak a été submergée par des vagues d'immigration et qu'elle est devenue minoritaire dans son propre pays.
 Donc combattre le chlordécone, oui, le faire sans trêve et avec détermination, oui, mais sans jamais oublier que notre principal problème est l'absence de responsabilité martiniquaise. Pour commencer à le résoudre, il n'y a, pour l'heure, que deux chemins : 1) remettre le mot d'ordre d'indépendance au premier plan de nos revendications ; 2) demander à nos frères caribéens et à nos cousins africains de poser la question de la Martinique à la tribune de l'ONU et exiger que cette dernière soit inscrite sur la liste des pays  décoloniser.  
 Si nous ne faisons pas cela, le résultat est couru d'avance : Ite missa est...(Les vieux, traduisez pour nos jeunes qui, à l'école, n'apprennent plus le latin et si peu le créole !).

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