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«C’est l’expression de l’identité catalane dans toutes ses dimensions qui est jugée»

«C’est l’expression de l’identité catalane dans toutes ses dimensions qui est jugée»

Espagne • Procès des leaders indépendantistes catalans à Madrid, grève féministe du 8 mars, montée de la formation VOX en Andalousie. Isabel Benitez, militante de la Coordination ouvrière syndicale (COS) à Barcelone fait le point.

Depuis le 12 février dernier, douze leaders indépendantistes sont jugés par le Tribunal Suprême espagnol (TSE) à Madrid. Neuf ont été placés en détention préventive depuis plus d’un an, les trois autres sont en liberté conditionnelle. Ils doivent répondre d’une série d’événements survenus à l’automne 2017 en Catalogne: adoption contestée d’une loi sur un référendum d’autodétermination le 6 septembre, tenue de ce référendum le 1er octobre – considéré illégal par le TSE et violemment réprimé par la police nationale -, et déclaration unilatérale d’indépendance le 27 octobre. Inculpés pour des chefs d’accusation extrêmement graves – sédition, rébellion, malversation de fonds, appartenance à une organisation criminelle et désobéissance à l’autorité – ils et elles encourent des peines allant de seize ans d’inéligibilité à 25 ans d’incarcération. Du jamais vu depuis la fin du franquisme en 1975. Pour comprendre les enjeux liés à ce procès majeur à forte dimension politique, nous nous sommes entretenus avec Isabel Benitez, militante de la Coordination ouvrière syndicale (COS) à Barcelone et employée temporaire dans la fonction publique. Elle a été responsable du groupe féministe «Lucha Feminista» de la COS durant trois ans.

Pouvez-vous nous parler de la COS?

Isabel Benitez Il s’agit d’un syndicat présent dans les Països catalans, les territoires de culture et de langue catalane (Valence, Baléares et Catalogne), qui lutte pour la libération de classe, féministe et nationale. Nous n’avons pas de permanents syndicaux et nous n’acceptons pas de subventions étatiques. Un tiers de nos cotisations sont reversées à notre caisse de grève. Nous faisons partie de la Table de la gauche indépendantiste (TEI), où nous coordonnons notre action politique avec Arran, Endavant, le SEPC, la CUP et Alerta Solidaria. Nous sommes internationalistes, membres de la Fédération syndicale mondiale (FSM, d’obédience communiste à l’origine) et présents dans les secteurs les plus précarisés, comme l’hôtellerie, le télémarketing ou le commerce de détail. Actuellement engagés dans un conflit très dur dans des abattoirs, nous y organisons des travailleurs principalement issus de l’immigration africaine.

En quoi ce procès revêt-il une dimension politique?

Les chefs d’accusation retenus constituent des délits pénaux extrêmement graves, assimilables à un coup d’Etat. Pourtant, ils ne correspondent pas à la définition de celui-ci dans le code pénal, puisqu’il implique de la violence. Ainsi, on voit que la dimension juridique du procès est instrumentalisée et forcée.

Par ailleurs, le jugement ne concerne pas que des personnalités politiques ou des membres du gouvernement catalan impliqués dans l’organisation du référendum d’autodétermination du 1er octobre, mais aussi des représentants d’organisations civiles catalanes. C’est l’expression de l’identité catalane dans toutes ses dimensions qui est en train d’être jugée. Cela s’observe également dans d’autres procès ouverts en parallèle, par exemple à l’encontre de membres des Comités de défense du référendum, des assemblées de quartiers.

Dans sa déposition au cours du procès, la direction des Mossos d’Esquadra (la police catalane, ndlr) a reconnu que les organisations politiques, syndicales et de jeunesse de la gauche indépendantiste faisaient l’objet d’une surveillance préventive de la part du gouvernement. Il s’agit d’un macro-procès contre l’expression démocratique du droit à l’autodétermination.

Le fait est que le processus indépendantiste questionne l’unité de l’Etat espagnol, dont la dictature franquiste et le régime de transition postérieur, établi en 1978, ont fait un des piliers de la cohésion politique. De par le niveau d’implication et de participation directe à la vie politique qu’il implique, le processus indépendantiste constitue une sérieuse menace pour le régime en place et remet en question la monarchie.

Quel rôle joue sur le procès la percée électorale de Vox – formation d’extrême droite ouvertement xénophobe, antiféministe et ultranationaliste – lors des élections législatives andalouses en décembre 2018?

Premièrement, l’avancée de l’extrême droite n’est pas l’apanage de l’Espagne. Il s’agit d’une tendance planétaire, à l’image des gouvernements en place au Brésil, aux Etats-Unis, ou en Europe, par exemple en Hongrie.

Ensuite, des mouvements tels que Ciudadanos et VOX ont contribué à criminaliser l’expression publique en lien avec des revendications indépendantistes. Or, aucune attention critique n’est portée aux sources de financement des campagnes électorales de ces partis, qui ont par exemple accès à des espaces médiatiques – qu’il s’agisse de la télévision ou de la presse écrite – complètement démesurés.

Par ailleurs, le vote en faveur de VOX est souvent attribué aux catégories populaires déclassées. Or, les statistiques indiquent plutôt une radicalisation des élites économiques et de la droite traditionnelle andalouse, qui votaient déjà pour le Parti populaire (PP). La visibilité soudaine des débats sur la question nationale ou les revendications féministes ont plutôt constitué un point d’appui que les formations d’extrême droite ont utilisé de manière opportuniste pour se légitimer.

Enfin, l’incapacité de Podemos à élaborer un programme de rupture, en plus de son appropriation du patriotisme espagnol – faisant fi de son lien avec l’idéologie franquiste d’une Espagne «unie, grande et libre» – ont renforcé la criminalisation de l’indépendantisme. Iñigo Errejón (co-fondateur de Podemos, ndlr) a promu la manifestation féministe du 8 mars à Madrid sur Twitter avec un «Esto es España», (ça c’est l’Espagne, ndlr). C’est un exemple de la banalisation de la «question espagnole» par ceux qui, paradoxalement, se distancient et oublient consciemment l’unique référence progressiste possible à la nation espagnole, à savoir celle de la seconde République de 1931 à 1939.

En tant que syndicat de base, et à l’heure où la lutte contre la montée de l’extrême droite et les forces conservatrices en Espagne est plus urgente que jamais, en quoi l’indépendantisme catalan peut-il constituer une réponse?

Pour notre syndicat, la défense du droit à l’autodétermination est une obligation internationaliste, dans l’Etat espagnol aussi bien qu’à l’extérieur de celui-ci.

Par ailleurs, notre pari de l’indépendantisme n’est pas une position de principe. Il est lié à la nécessité de renverser la subordination nationale, économique et sociale des travailleuses et des travailleurs à l’oligarchie espagnole et catalane et de nous défaire de la monarchie. Ce sont des points de départ nécessaires -mais certes pas suffisants – en vue de la réalisation d’une union fraternelle et égalitaire entre les peuples, pas uniquement espagnols, mais de toute l’Europe.

Ce projet indépendantiste n’est pas hégémonique. Nous défendons le droit à l’autodétermination afin de construire une république socialiste et libérer ainsi le potentiel de rupture qu’exige la crise terminale du capitalisme. Nous voulons poser les bases d’un modèle économique et social au service des besoins de la population, plutôt que de la Banque centrale européenne, du lobby électrique ou du secteur bancaire, qui exécute les expulsions forcées de locataires.

Comme je disais, il n’est pas hégémonique, mais il existe et se caractérise par un ferme ancrage anticapitaliste, qui n’a rien à voir avec le chauvinisme. Pour nous, l’indépendance est une opportunité de parler d’un changement radical de société, et pas uniquement de la couleur des drapeaux qui flottent sur les municipalités, pour paraphraser le communiste irlandais James Connolly, lorsqu’il parlait des drapeaux verts de Dublin, symbole de la domination anglaise.

Comment les forces sociales progressistes, à l’image des syndicats de base, se mobilisent-elles concrètement sur le terrain et quelle influence cela a-t-il sur le rapport de force?

A la différence de la situation dans l’Euskal Herria (le pays de la langue basque, ndlr), en Catalogne et dans les Països catalans, la gauche indépendantiste ne s’est pas engagée de manière ferme, solide et stratégique en faveur d’un syndicalisme de classe, sociopolitique, indispensable pour engager un véritable bras de fer contre l’oligarchie souverainiste catalane (qui préfère une autonomie espagnole plutôt qu’une république socialiste catalane) et contre l’oligarchie espagnole. Notre capacité d’influence est donc restreinte, mais qualitativement importante. En tout cas suffisamment pour démasquer et combattre les tentations interclassistes qui accompagnent nécessairement le souverainisme ou l’indépendantisme non politisé à gauche.

Notre force réside dans notre capacité d’organisation sur les lieux de travail, dans l’action coordonnée entre les secteurs de la jeunesse de la gauche indépendantiste et dans la possibilité d’atteindre les secteurs les plus précaires du monde du travail. Malgré la faiblesse de nos moyens, notre action au niveau local freine le potentiel de croissance de l’extrême droite.

Quel a été votre engagement en faveur de la grève féministe du 8 mars dernier et quel en a été le résultat ?

Nous avons appelé à la grève générale féministe et nous sommes ainsi démarqués des arrêts de travail partiels de Comisiones obreras (CC.OO) et de l’Unión general de trabajadores (UGT). Nous nous sommes intégrés aux mobilisations et aux comités de grève locaux, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des entreprises (par exemple dans les quartiers). Cette année, nous avons souligné la nécessité de renforcer la stratégie de classe du front féministe et de créer un mouvement internationaliste. Notre slogan était «Travailleuses de tous les pays, unissons-nous!». Nous savons que l’incidence des mouvements de grève a été moindre que l’importante mobilisation de la société civile, mais à l’heure où nous attendons encore des chiffres plus précis, nous avons la sensation qu’elle a été supérieure par rapport à l’an dernier (selon le syndicat UGT, plus de six millions de travailleuses et travailleurs ont participé à des arrêts de travail ou ont fait grève, ndlr). Les revendications féministes sont centrales dans tout syndicalisme qui se revendique de classe

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