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BON VENT, EDOUARD !

Karl Paolo
BON VENT, EDOUARD !

 Pour ceux qui ont débuté le militantisme dans les années 1970 et sans doute pour ceux d'avant, Edouard de LEPINE est un homme dont la place et le rôle sont tout à fait considérable, son influence ayant dépassé très largement les limites du stricte cercle de ses amis politiques.

 Pour certains jeunes militants en tout cas pour moi, rencontrer Edouard, c'était comme découvrir le GRAAL!

 Ma première vraie rencontre avec Edouard de LEPINE se déroule en 1974, alors que je suis en terminale au Couvent Saint-Joseph de Cluny à Fort-de-France. La Révolution d'octobre et L'URSS étant au programme, je propose à mon professeur d'Histoire et Géographie, Mme GERMAIN, l'organisation d'une conférence débat sur ce thème avec comme intervenants Edouard de LEPINE alors dirigeant du GRS et Armand NICOLAS, secrétaire général du Parti communiste martiniquais. Qu'un tel débat ait pu avoir lieu dans un établissement confessionnel entre deux dirigeants révolutionnaires dont l'un, Armand NICOLAS était toujours sous le coup d'une révocation de l'éducation nationale au titre de l'ordonnance d'octobre 1960 , avait de quoi surprendre. L'ouverture d'esprit de mon professeur comme de la direction de l'établissement et notamment de Mère Bénédicte doit être soulignée!!!

 Edouard m'attirait comme les insectes le sont par la lumière et cette attirance était d'autant plus forte que nous étions lui et moi sur des positions différentes, lui trotskiste et moi communiste, lui indépendantiste et moi autonomiste.
 Si ceux qui partageaient ses analyses trouvaient dans ces échanges sans doute l'occasion d'approfondir leur compréhension du monde, ceux qui venaient comme moi d'horizons différents, les discussions, étaient l'occasion de tester nos argumentaires et nos analyses et d'apprendre à apprendre auprès de ce puits sans fond de connaissance qu'était Edouard. Car il n'affirmait rien sans fournir ses sources et je repartais avec un ou deux ouvrages que je dévorais en oubliant volontairement de les rapporter.

 J'ai trop fréquenté pendant des années son appartement de la rue Garnier Pages à Fort-de-France alors que je n'avais que 16 ans, préférant remonter chez mes parents à 1h du matin et à pied, pour ne pas perdre une miette des échanges souvent animés, mais toujours très enrichissants, pour ne pas m'en souvenir 50 ans plus tard.

 Par la suite, nos rencontres se sont espacées et quand 30 ans plus tard, je suis venu habiter au Robert, ma première visite fut pour Edouard, a sa maison de Four-à-Chaux où nos échanges reprirent, le plus souvent le dimanche en fin d'après-midi.

 Même si j'avais acquis une expérience et une maturité dont j'étais naturellement dépourvu dans les années 70, j'apprenais tout autant, dévorant les ouvrages qu'Edouard avait toujours la gentillesse de me passer. Je revenais avec les ouvrages annotés et nos discussions reprenaient de plus belles.

 Nous étions l'un comme l'autre convaincus de la justesse de nos opinions et personne ne faisait marche arrière. Mais c'est surtout sur la période comprise entre le référendum de 1958 et la Conférence de Trénelle en 1971 que nous divergions le plus. Je prenais systématiquement comme fondement de mon argumentation, les propres écrits d'Edouard "Questions sur l''histoire antillaise", paru en 1978, en réponse à l'ouvrage de Camille DARSIERES "Des origines de la Nation Martiniquaise" paru en 1974. 

 Trois anecdotes particulières me viennent à l'esprit.

 Alors que je discutais avec Edouard des relations entre CESAIRE et la direction de la Fédération communiste de la Martinique du PCF, il brandit ce tract d'Aimé CESAIRE du 4 novembre 1956 commençant par ces mots : " NON, je n'ai pas abandonné la cause du prolétariat, la cause de la classe ouvrière, la cause des peuples colonisés"... Il est exact que j'ai quitté le Parti Communiste Français. Mais je n'en reste pas moins du côté du peuple martiniquais et COMMUNISTE MARTINIQUAIS."

 J'étais stupéfait car ni au PCM ni au PPM on n'évoquait ce tract ou quand on le faisait, au PCM en tout cas, c'est pour accréditer la thèse de la trahison de CESAIRE!!! Quant au PPM, qu'Aimé CESAIRE soit un communiste martiniquais, après sa démission du PCF serait vu comme un blasphème. J'en ai conclu que je m'étais fait rouler dans la farine!!!  Edouard m'en a remis un exemplaire que j'ai depuis abondamment transmis à mes amis en découvrant qu'ils en ignoraient l'existence!

 A la suite du décès en fin 2006 de Camille DARSIERES, dont il était le condisciple, Edouard adressa un mail à son carnet d'adresse pour proposer que soit rendu hommage à son ami, en donnant son nom à un lycée et à une avenue. J'y ai réagi en disant que si cela se justifiait, il fallait laisser un certain délai, environ un an, pour que la famille fasse son deuil. Selon Edouard, ce fut l'unique réponse à son mail.

 Convaincu de la pertinence de ses propositions, Edouard entreprit de répondre à mes modestes réserves et voulu me démontrer que j'ignorais qui était Camille DARSIERES. De là est né un bouquin de 331 pages intitulé "Hommage à un grand martiniquais, Camille DARSIERES"!!! C'est du Edouard tout craché!!!

 Récemment, après que les statues de SCHOELCHER puis de DESPROGE furent démolies, je me suis replongé dans la lecture du livre "Question sur l'Histoire Antillaise" où Edouard de LEPINE écrivait, en 4ème de couverture :   

 " Nous autres, Antillais, sommes mieux placés que la plupart des autres peuples pour savoir ce qu'il en coûte d'apprendre l'histoire dans des manuels tronqués.  

  Pour cela entre autres, mais aussi parce qu'aujourd'hui, nous ne sommes pas tellement sûrs, après tout, de ne pas être une de ces  "nations foutues", "non-historiques", au sens où Engels l'entendait, à la fois de peuples dont le devenir ne saurait peser sur l'avenir du monde et de peuples qui n'ont pas été capables de constituer des Etats ou qui n'ont plus suffisamment de forces pour conquérir leur indépendance nationale, nous devons chercher avec la plus grande passion mais aussi avec la plus grande sincérité les racines de notre actuelle situation dans le monde.

Exalter sans discernement les grande heures de notre passé, se tromper sur les circonstances de telle ou telle de nos démarches, oublier ce qui n'est pas de nature à nous plaire, ce n'est pas faire avancer la conscience nationale aux Antilles.

C'est en tout cas prendre le risque de méconnaitre l'immense effort que nous avons à accomplir pour sortir du Moyen Age où nous croupissons encore."
 
 Quelle lucidité!!! C'était en 1978, il y a 42 ans!!! Qu'avons nous fait en 42 ans me suis-je demandé et les larmes me sont montées aux yeux!!!

 Je suis très triste de son départ mais cela doit être pour nous qui aimions tant discuter avec lui, une raison de plus pour retrousser nos manches, avec passion, sincérité et rigueur, qualités dont il faisait preuve. C'est ce qu'il aurait sans doute voulu!!! Mais il me manquera.
 
 Karl Paolo
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Commentaires

Frédéric C. | 17/08/2020 - 17:18 :
Cet article très personnel évoque des points peu connus des relations entre Césaire, le PCM et le PPM lors de la scission de 1956 et après. Dans l’Historial Antillais, de l'Epine lui-même faisait allusion à des tentatives de rapprochement entre Césaire et la direction de la fédération Martinique du PCF, pour éviter la scission. En vain.... Au-delà, Monsieur Paolo écrit en conclusion que le «départ» (en fait il n'est pas "parti", il est mort) d’EDLE doit être «une raison de plus pour retrousser nos manches, avec passion, sincérité et rigueur, qualités dont il faisait preuve». On serait curieux de savoir ce que propose Monsieur Paolo concrètement, car l’expression «retrousser nos manches», c’est quand même vague. Soyez plus précis, Karl.

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