Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL

BILINGUISME, IMMIGRÉS ET PRÉJUGÉS

Michel Feltin-Palas
BILINGUISME, IMMIGRÉS ET PRÉJUGÉS

Parler deux langues est un formidable atout pour réussir à l’école. Pourtant, les enfants d’origine étrangère sont souvent en échec scolaire. Une contradiction qui n’est qu’apparente.

Incroyable, mais vrai : à 4 jours, un nourrisson est capable de distinguer une phrase en russe d’une phrase en français ! De quoi expliquer la facilité avec laquelle les enfants deviennent bilingues. Et pourtant... La maîtrise de plusieurs langues est souvent perçue comme un handicap pour la réussite scolaire, alors qu’il s’agit au contraire d’un avantage extraordinaire. C’est ce que montre un formidable livre écrit par la psycholinguiste Ranka Bijeljac-Babic, présidente de l’association Bilingues & plus (1) et elle-même plurilingue, évidemment.

Oh, je sais ce que l’on m’objectera : « Vous avez tort : regardez les résultats des enfants d’immigrés ! » Et, de fait, leurs notes en français et en maths se situent largement au-dessous de la moyenne, tandis que 1 sur 3 redouble en primaire (1 sur 5 chez les non-immigrés). N’est-ce pas la preuve que le fait de parler à la maison une autre langue que celle de l’école est néfaste pour leur avenir ? Eh bien non.

En réalité, l’échec scolaire de ces enfants s’explique essentiellement par leur milieu socio-économique d’origine. Leurs parents, 9 fois sur 10, sont peu instruits et leurs « capacités langagières », comme disent les experts, en souffrent. D’autant que, pour ne rien arranger, l’Education nationale les envoie souvent dans des ghettos scolaires... En revanche, à niveau socio-économique identique, on n’observe pas de différence de niveau en lecture entre immigrés et non-immigrés.

Je le précise d’emblée : ce qui précède n’est pas le copier-coller d’un tract de SOS Racisme, mais le fruit des recherches les plus pointues en psycho et en neurolinguistique. Cela se comprend facilement d’ailleurs. Passer d’une langue à l’autre dès son plus jeune âge est un fabuleux atout, non seulement pour en acquérir une troisième, voire une quatrième, mais aussi pour tous les exercices à caractère littéraire : grammaire, conjugaison, etc. Plus étonnant encore : parce qu’il active différemment certaines aires cérébrales, le bilinguisme améliore la flexibilité mentale, la pensée abstraite, la mémoire de travail, la concentration... donc la réussite dans toutes les matières, y compris les maths ou la biologie. « Le fait de passer en permanence d’une langue à l’autre accélère le développement des fonctions cérébrales permettant la flexibilité cognitive», explique Ranka Bijeljac-Babic.

La conclusion est évidente : les enfants bilingues ont tout pour réussir à l’école, à condition toutefois que cette caractéristique soit valorisée. Or c’est souvent là que le bât blesse. S’il faut évidemment corriger un enfant qui, au départ, « mélange » les mots ou la syntaxe, il ne faut surtout pas le déprécier ni l’inciter à rompre avec sa langue maternelle. Au contraire, une telle attitude risque de déboucher sur une dégradation de son capital linguistique et, au-delà, sur une perte d’estime de soi, tout à fait néfaste pour sa capacité d’apprentissage.

En France, malheureusement, seuls certains bilinguismes sont encouragés. Un bambin connaît l’allemand ou l’anglais ? Formidable ! Tel autre parle wolof ou roumain? Rien ne va plus ! Il risque de « prendre du retard » et ses parents sont vivement incités à lui parler français à la maison. Réflexes conditionnés, naturellement, fruits de l’ignorance et des préjugés. « Les mécanismes cérébraux activés par le bilinguisme sont les mêmes, qu’il s’agisse de langues "mineures" ou "internationales". Ce qui change, ce sont les représentations associées à ces langues », souligne Ranka Bijeljac-Babic.

La preuve par l’exemple nous est offerte par le Canada, pays qui accueille de nombreux étrangers. Là-bas, la pédagogie est ouvertement favorable au multiculturalisme. Résultat ? Le retard en CP observé chez les enfants d’immigrés dans les « tâches langagières » disparaît à la fin du collège. Et ce n’est pas un cas isolé. L’OCDE écrit, en s’appuyant sur l’étude Pisa qui évalue quelque 400 000 adolescents pour mesurer les performances des systèmes éducatifs : « Les élèves immigrés réussissent mieux en général dans les pays qui parviennent à relever le défi de la diversité. » « Valoriser les langues de tous les élèves apporte aux écoliers une ouverture sur le monde et leur apprend à gérer les différences : c’est une excellente manière de former les citoyens », complète Anna Stevanato, la fondatrice de l’association Dulala, qui œuvre en faveur du plurilinguisme.

Ce que disent les spécialistes à propos des langues étrangères vaut bien sûr aussi pour les langues dites régionales. En France, c’est un euphémisme, le bilinguisme n’a jamais été à l’honneur. Loin de valoriser le basque, le picard, l’alsacien ou le limousin, les instituteurs de la IIIe République ont mis à l’honneur le seul français. Bien sûr, ce serait faire preuve d’anachronisme que de le reprocher aux fameux « hussards noirs » : à l’époque, la neurolinguistique était pour le moins balbutiante. En revanche, tel n’est plus le cas aujourd’hui et c’est au fond une bonne nouvelle. Les enseignants comme les parents doivent le savoir : un enfant bilingue a plus de chances de réussir sa scolarité que les autres. Il n’y a plus qu’à en tirer les conséquences.

(1) L’enfant bilingue, par Ranka Bijeljac-Babic. Odile Jacob, 2017, 178 p., 20,90 €.

Image: 

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.