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AU FIL DES TEXTES…

AU FIL DES TEXTES…

Il est rare qu’un écrivain nous donne à lire deux textes de qualité au cours de la même année et surtout à un mois de distance : c’est pourtant l’exploit que réussit Lionel-Edouard Martin, enseignant à la Faculté des Lettres de Schoelcher, en publiant en janvier « Deuil à Chailly » chez Arléa et en février « Corps de pierre » chez Ecriture. L’auteur nous est connu comme un poète qui a réussi à forger sa propre voix parmi tous ceux qui, hélas, pratiquent en toute impunité ce que l’on pourrait appeler l’exercice illégal de la poésie. Aujourd’hui, il nous livre donc deux récits sans que cela puisse se réduire à un « passage à la prose » comme on dit vulgairement. Chez Lionel-Edouard Martin, non seulement la frontière artificielle entre poésie et prose n’existe pas, mais il réussit à insuffler aux choses, au sens le plus concret du terme, le plus prosaïque pourrait-on dire justement, une densité insoupçonnée : le calcaire, l’eau de la Gartempe qui, de loin, rêve de l’Atlantique où elle débouche, une haie de lauriers, voire même une simple casserole. L-E. Martin est issu du pays poitevin, de ce monde rural qui peu à peu s’éteint, emportant avec lui l’étrange douceur du XIXe siècle, avec ses voix graves de travailleurs de la terre et d’artisans, de femmes fortes devant les avanies du destin, de jours qu’on jurerait immobiles. Ici, il n’est point question de littérature de terroir, ni de pittoresque. Ni non plus d’absurde nostalgie. Il est question tout au contraire de plonger, par la grâce de l’écriture, au cœur de ce qui est (« est » étant à prendre dans l’acception la plus métaphysique qui soit). Dans « Deuil à Chailly », on enterre l’oncle Ernest. La préparation des obsèques semble encore davantage ralentir le temps. Les humains entrent dans une sorte de sourde méditation, entre résignation, lassitude et chagrin. Rien qui puisse toutefois décontenancer l’ordre des choses :

{« Là-bas, c’est la Gartempe qui coule, et ce n’est pas une grande rivière ; elle est de celles qui se jettent câlinement dans les bras d’une autre un peu plus abondante, mais guère, plutôt que d’aller donner d’elle-même de la tête dans le ventre d’un fleuve. Cela convient à notre tempérament : gens de plaine, comme elle, nous cultivons une même tendresse, une même modestie ; malgré quelques collines__mais elle a râpé presque tous nos raidillons, nous vivons à son étale… »}

Dans « Corps de pierre », le propos semble plus ample : il s’agit d’une revisitation de l’enfance à travers un savant entrelacement de notations. Se mêlent ainsi des souvenirs de visages anciens, d’habitudes oubliées ainsi que l’exaltation discrète d’un lieu et du calcaire qui en constitue l’assise. Visages anciens : la grand-mère Marie, l’Hubert, la vieille Adèle, l’inénarrable Dame Queuequeue. Le jeune Léon, tombé au champ d’honneur dans la furie de la Première Grande Guerre que Germaine ne pleurera pas mais « soudain, tous ses os pèsent au sol comme un dolmen, elle est tombée contre terre, à quatre pattes, son ventre est crayeux, douloureux ; et c’est tout ce qu’on sait__qu’on la trouva dans cette posture, chaise renversée, qu’on eut mille peines à la saisir et à la mettre au lit. »

Toutefois, le texte n’est pas ancré dans la seule évocation d’un passé révolu, il vibre en contrepoint avec une méditation, très actuelle, elle, sur les rives de l’Amazone, ce fleuve au bord duquel volètent des oiseaux bleus. Avec ces deux ouvrages, Lionel-Edouard Martin fait donc une entrée fracassante dans la littérature française et dans la littérature tout court, lui dont les beaux textes poétiques n’avaient pas trouvé jusque là l’écho qu’ils méritent. Il en va aussi de même d’un autre écrivain d’ici, André Lucrèce, lequel poursuit en parallèle une double vocation de sociologue et de romancier. Si l’on connaît bien la première facette, la seconde est plus discrète, sans doute parce que le tout premier texte littéraire, « La Pluie du Bon Dieu », avait été édité au Québec et que les relations entre la Martinique et la Belle Province sont tributaires de lignes aériennes épisodiques. André Lucrèce trace pourtant un sillon singulier dans les lettres antillaises, hors de la Négritude et de la Créolité, inaugurant en quelque sorte un genre inconnu sous nos cieux : le roman philosophique. Son dernier texte, « La Sainteté du monde » (éditions HC) surprendra ceux qui sont friands de couleur locale ou d’arrière-plan historique. L’auteur se place délibérément au niveau des questions fondamentales : notre être-au-monde en tant qu’Antillais, notre rapport au sens ou au non-sens de l’existence, le poids de l’amour et surtout de la sainteté. Détournant ce dernier mot de son acception religieuse, il nous donne à voir, dans notre quotidien, des figures dont l’ascèse habituellement nous échappe mais qui sont bel et bien porteuses d’une exigence de vérité : Edmond-Edgard Sufrin, l’ange du carnaval, inventeur d’une religion à lui, polygame, procréateur infatigable ; Elie, l’ange des rues, qui partage la « drive » des errants de notre (fausse) modernité tout en conservant les valeurs fondamentales de tolérance et de fraternité ; Féry-Certeau, l’ange de l’Art, architecte au génie méconnu ou encore Angalbert, l’ange de la parole perdue. L’écriture se fait à la fois précise et ample, ondoyante et chargée d’ironie tout à la fois :

{« Ma conviction est que les anges sont ceux qui, par le contenu de leur vie, jettent la lumière sur les précarités de l’âme, leurs faiblesses, leurs concessions, et nous offrent ainsi la possibilité d’un éveil. Ce qui fait que ce n’est pas la vie des saints que les hagiographes devraient nous restituer, mais celle des anges. »}

André Lucrèce a aussi l’art du dialogue, non pas celui, superficiel et vif, de ces écrivains qui confondent roman et théâtre de boulevard, mais celui qui se nourrit comme en sourdine d’une longue méditation. Comme si chaque mot prononcé, chaque phrase alignée engageait toute la vie de celui qui les prononce. Du grand art !

Ces derniers mois nous ont aussi livré trois autres textes dignes d’intérêt parmi ce foisonnement éditorial ininterrompu qui caractérise notre petit pays, signe d’une vitalité somme toute rassurante. D’abord le recueil de nouvelles d’Hervé Vignes, « Le Capteur de rêves » (éditions Ibis Rouge) qui se déroulent presque toutes dans le milieu de l’enseignement. L’auteur, natif du Tarn-et-Garonne, y mêle sens de l’observation, tendresse envers le réel martiniquais, humour et parfois fantastique. Ainsi la jeune Cindy qui au Québec s’achète « une petite pièce d’orfèvrerie en argent, à passer la nuit autour du cou »en guise de souvenir. Un capteur de rêves ! lui lance mystérieusement le vendeur qui finalement lui offre l’objet en lui faisant promettre de lui adresser un petit mot à son retour à la Martinique. Nous ne déflorerons pas le secret, préférant laisser au lecteur le plaisir de se délecter de chacune de ces nouvelles qui se laissent lire par petites touches, comme à la petite cuiller pourrait-on dire. Autre texte, autre style : celui d’un nouveau venu en littérature, Pierre-Marcel Diaz. Un gros bouquin au style haletant, haché par moment, jamais ennuyeux, qui nous transporte dans l’univers mafieux de la Martinique. Un bon polar tropical avec ce qu’il faut de coups de feux, d’enlèvement, de trafics de toutes sortes et surtout une enquête rondement menée par le personnage principal, la commissaire Rhonda Peterson. Ce livre s’appelle « Le Rendez-vous de quinze heures » (éditions Thélès). Lisez-le, vous passerez un bon moment ! Enfin, le dramaturge Daniel Boukman, dont la pièce « Agoulouland » a connu un succès de scène retentissant ces derniers mois, nous revient avec à nouveau une courte pièce « L’Homme endormi ou Et de nouveau la bête immonde… » qui a pour thème, écrit l’auteur, « les crimes de l’agression israélienne contre le Liban (et la Palestine) en juillet-août 2006 ». Cet intérêt de Boukman pour le monde arabe n’est pas nouveau. Faut-il rappeler qu’il fut l’un des rares appelés martiniquais à refuser d’endosser l’uniforme français pour faire la guerre (1954-62) au peuple algérien et qu’il a payé très cher cette insoumission. Dès cette époque, il écrivait déjà une pièce en l’honneur des Palestiniens et de leur martyre : « Et jusqu’à la dernière pulsation de nos veines ». Dans cette nouvelle pièce, comme à l’ordinaire, on s’émeut, on s’indigne mais aussi on rit beaucoup. Derrière les noms aux allures de sobriquets des différents personnages__Darling Condola, Raéli, Docteur Kouch, Sarah, Abel etc…__on reconnaîtra aisément les acteurs, illustres et anonymes, du drame que vit le peuple-frère de Palestine. Qui a dit que la littérature engagée était morte et enterrée ?

Raphaël Confiant

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