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Antilles françaises. Crise sociale et controverse raciale

Antilles françaises. Crise sociale et controverse raciale

La colère antillaise se déverse sur la minorité blanche.. Antoine Fouchet, à Pointe-à-Pitre. (La Croix. 17/02/09)

Les descendants des colons sont présentés comme les responsables de la vie chère.

«Les békés ont dans leurs mains toute l’économie des Antilles ! » Pour Elie Domota, le leader charismatique du Collectif contre l’exploitation outrancière, qui mène la grève générale depuis plus d’un mois en Guadeloupe, cela relève non pas de l’imagination ou du fantasme, mais de l’évidence. À l’en croire, les descendants des colons blancs (signification du terme créole békés) sont pour cette raison à l’origine de tous les maux de la société antillaise.

Dans les nombreuses manifestations qui se sont déroulées jusqu’à présent à Pointe-à-Pitre et Fort-de-France, les békés sont avant tout présentés comme les principaux responsables de la vie chère : « ils se gavent », « ils nous exploitent », « ils se remplissent les poches sur notre dos », entend-on un peu partout pour expliquer des prix de produits, de première nécessité ou non, deux à trois plus élevés que ceux de la métropole.

Cette réputation, relayée bien au-delà des manifestations, n’est pas nouvelle. Le pouvoir de ces « blancs pays », comme on les appelle aussi ici, est en tout cas bien réel. Représentant à peine 1 % de la population des deux îles (environ 3 000 personnes), ils sont à la tête, non seulement de la production de la banane et du rhum, mais encore des grandes centrales d’achat et enseignes d’hypermarchés ou de grands magasins, comme des concessions de ventes d’automobiles et de machines-outils, sans oublier les principaux complexes hôteliers et une bonne partie du commerce immobilier. Une reconversion effectuée avec opportunisme et réussite à la fin des années 1960, époque où le marché mondial de canne à sucre s’est effondré.

Parmi eux, au premier rang, Bernard Hayot (dont le groupe a réalisé 1,6 milliard de chiffre d’affaires en 2008 et comprend 6 000 salariés), Alain Huyghues-Despointes, Éric de Lucy de Fossarieu, Roger de Jaham, Hervé Damoiseau, Christian Viviès. Maîtres de la grande distribution, ils sont aujourd’hui dans le collimateur du gouvernement, qui les soupçonne de pratiquer des « marges excessives ». Yves Jégo a récemment évoqué à leur propos « un problème de monopole, celui d’une économie insulaire, héritière des comptoirs ». Le secrétaire d’État à l’outre-mer a demandé la réalisation d’un audit sur les prix pratiqués aux Antilles.

Selon les économistes, les békés tiennent 40 % de l’économie antillaise, ce qui représenterait déjà beaucoup. Toutefois, Roger de Jaham qui a créé l’association « Tous créoles » afin d’améliorer l’image des békés, parle de 20 %. Il a, par ailleurs, publié un document qui révèle qu’un quart de la grande distribution est entre les mains des « blancs pays » mais que le reste appartient à des familles mulâtres, noires ou d’origine chinoise (les Ho-Hio-Hen), qui ont fait fortune. Roger de Jaham souligne enfin que cette population est « hétérogène » et comprend aussi des familles modestes, par exemple dans la pêche et l’agriculture.

Las ! La rumeur publique est tenace. Elle accuse les békés de maintenir « un esprit esclavagiste » qui fait que les emplois de cadres dans leurs sociétés seraient réservés à des métropolitains. Une pratique qui serait, d’ailleurs, également en vigueur dans les sociétés métropolitaines venant s’installer en Guadeloupe et Martinique. Un pouvoir occulte sur la vie politique insulaire est même attribué aux békés. « Ils tirent les ficelles jusqu’à Paris », affirment certains. Du coup, le slogan « békés et États français complices ! », qui a accompagné, lundi en Guadeloupe, l’intervention des gendarmes mobiles venus déloger les barrages routiers, n’était pas très étonnant.

L’émoi provoqué ici, il y a quelques jours, par les paroles hostiles au métissage qu’Alain Huyghues-Despointes a prononcées dans le reportage télé, « Les Derniers Maîtres de la Martinique », n’a pas surpris davantage. Les autorités locales, craignant des actes de rétorsion contre cette minorité blanche, ont fait surveiller le quartier du Cap Est à Fort-de-France (Martinique), qui abrite de luxueuses maisons békées et qui est surnommé « békéland ». En dépit de l’ouverture d’une information judiciaire pour « apologie de crime contre l’humanité et incitation à la haine raciale » après la diffusion du reportage, la révélation du fait que le préfet de Martinique, Ange Mancini, louait une villa appartenant à Alain Huyghues-Despointes n’a fait qu’accroître la suspicion. Ange Mancini a été amené à déménager, mais les Antilles n’avaient pas besoin de cela.

 

Lame de fond contestataire en Guadeloupe par Antoine Guiral, Point-à-Pitre. 16/02/09

(...) Identité, pouvoir d’achat, démantèlement systématique des structures de la société créole… les symptômes du malaise étaient pourtant connus. Mais ils étaient étouffés par la classe politique locale et un Etat paternaliste. C’est d’abord la vie chère qui a cristallisé l’opinion en raison d’une économie de monopoles et de containers contrôlée par moins d’une dizaine de grandes familles békés, des Créoles blancs descendants d’esclavagistes. 4,50 euros une brosse à dents vendue un euro en métropole; le morceau de gorgonzola qui passe de 4,90 euros à 11,90 euros en deux mois, etc. Sans parler du scandale des profits indus de la filière pétrolière qu’un rapport vient de mettre en lumière. Bref, les Guadeloupéens ont dit que la «pwofitasyon», ça suffit. «C’est la deuxième abolition de l’esclavage car l’organisation économique qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui est édifiée à l’image de l’économie de plantation. Après trois siècles d’exploitation et de mépris, les gens ont enfin compris ce qui leur échappait et ce qu’il subissait», explique Rozan Mounien, une figure du syndicalisme. Les négociations avec l’Etat ont déjà abouti à un document de 131 résolutions signées qui auront des répercussions immédiates sur la transparence et la baisse des prix, la politique du logement, les transports, la formation, la santé, la culture…

Sur l’île, la parole s’est aussi libérée sur la question raciale, omniprésente. «Que des Blancs derrière la caisse des magasins et aux postes clés des services de l’Etat», résumait mercredi soir Eloi, un métis de 54 ans, en marge d’une réunion du LKP avec des petits patrons. «Quand j’étais petite, mon béké venait à la maison et exigeait que mes parents me corrigent devant lui si je chipais une banane parmi ses centaines d’hectares, raconte Nicaise, marchande de fruits au marché Saint-Antoine. Aujourd’hui, le Noir occupe toujours des emplois subalternes même s’il est plus capable que le Blanc.» Lutte des classes et lutte des races.

Le conflit est aussi politique, même si la question de l’indépendance ou d’une large autonomie n’est pas abordée. L’UGTG, ouvertement indépendantiste, s’est gardé d’agiter cet épouvantail qui divise. Mais des membres du syndicat patronal (Medef) et de nombreux békés sont persuadés que l’UGTG a d’autres visées. «Celle de la prise du pouvoir par la rue», tranche un représentant patronal. Vendredi, des comités du LKP sillonnaient les communes à la rencontre de la population pour expliquer toujours et encore le sens du mouvement, histoire de prévenir des tensions de plus en plus perceptibles.

Crise sociale et controverse raciale - Paralysie aux Antilles françaises. Reuters , AFP 
17/02/03

La première revendication est sociale, les grévistes du Collectif contre l'exploitation (LKP) protestent contre le coût de la vie. Mais le débat s'est rapidement doublé d'une dimension raciale, car les leviers de l'économie sont, dans les deux îles, largement aux mains d'une petite minorité de Blancs, descendants des colons esclavagistes des XVII et XVIIIe siècles: les «békés». «Une caste détient le pouvoir économique et en abuse», s'est emportée la députée Christiane Taubira, originaire d'un autre département d'outre-mer, la Guyane. «Il y a un lourd malaise dû à la cherté de la vie, au niveau du pouvoir d'achat, et, au-delà, à un problème de répartition des richesses», a déclaré la secrétaire d'État aux droits de l'homme Rama Yade, seule ministre noire.

 «Guadeloupe, c'est à nous, Guadeloupe, c'est pas à eux!»: le slogan, repris en Martinique, cible les békés depuis le début du conflit. Le ressentiment à l'égard de ces familles, qui ne se sont pas métissées au fil des siècles, a été accentué par les déclarations explosives d'un des plus riches Martiniquais dans un reportage télévisé diffusé le 30 janvier. Alain Huygues-Despointes y affirmait notamment «vouloir préserver sa race».

L'influence économique de ces familles est difficile à quantifier, mais elle est cruciale dans l'import-export et la grande distribution, ce qui explique qu'elles soient accusées de l'augmentation des prix. «La particularité, ici, c'est que les privilégiés qui contrôlent 80 % de notre économie sont tous blancs et pour la plupart descendants des anciens colonisateurs européens», affirme une universitaire guadeloupéenne Patricia Braflan-Trobo dans le Nouvel Observateur. À quelque 7000 kilomètres de Paris, ces îles où les Français aiment passer leurs vacances accumulent les problèmes sociaux, en dépit de transferts financiers massifs. Le taux de chômage est d'environ 22 % à la fois pour la Guadeloupe (450 000 habitants) et la Martinique (environ 400 000 habitants).

 Le produit intérieur brut (PIB) par habitant ne représente que 60 % environ de la moyenne française. Mais les Antilles françaises sont aussi beaucoup plus riches que les îles voisines et elles ont du mal à s'insérer dans l'économie régionale. Le secrétaire d'État à l'outremer, Yves Jégo, a assuré hier qu'il fallait une réponse économique à cette crise sociale. «Il y a un problème de monopole, celui d'une économie insulaire qui est l'héritière des comptoirs» coloniaux, a-t-il dit.

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