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AMÉRIQUES

AMÉRIQUES


Des flammèches d'azur aux langues des comètes

ont coulé dans mes yeux sur le satin du soir,

copeaux d'or qui brûlaient d'une fièvre secrète

mon âme tavelée de sinistres espoirs.



Loin des môles déserts, des chantiers, des hangars,

au chant des matelots, sur l'incurvé des mers,

j'ai hersé l'océan, ivre, libre et hagard.

Et le feu à mon front que mordaient les flots verts.



J'ai aimé tous ces vents qui portaient mes dérades

et les furieux troupeaux des flots déchiquetés

quand, sur des jours usés, de blanches Désirade

inclinaient mon esquif vers l'horizon bleuté.



J'ai vogué insoucieux sous des soleils roussis,

vers des îles inconnues de tous les portulans,

je rêvais de pays aux langueurs infinies,

de briser à jamais la roue sans fin du temps



Je portais dans mes flancs les rêves boucanés

de pillage et de viol des Cortez très chrétiens,

la cuirasse d'alcool des hommes condamnés

à l'exil et l'oubli, aux errances sans fin.



Sous les cieux rutilants des fantasques pléiades

j'ai bercé mille nuits des pierreries d'antan.

Au cri des cormorans j'ai débridé les rades

et brisé les chevrons des écluses du temps.



Moi, roide au gouvernail, dans les flots hystériques

je regardais filer les bancs de dauphins bleus

et des Ys englouties monter les chants mystiques,

l'appel des lamantins vers les gouffres soyeux



Las des solitudes, quand croulaient les déluges,

quand le fracas roulait des vagues dans la soute,

quand mes yeux n'avaient plus que l'enfer pour refuge,

j'ai baisé la pâleur des noyés sur ma route.



A l'oraison du soir, je priais les dorades

qui tapissaient mes flancs d'écailles métalliques,

de porter mon étrave vers la rouge Barbade,

et les îles au vent au cours transatlantique.



Sous le prisme éclaté des cieux ultramarins,

des huiliers d'or versaient un viride breuvage,

des bouillons de varech au goût de tamarin.

La vanille embaumait le feston des nuages.





Et les aubes peignaient des teintes électriques,

des phosphores huileux, des flaques de liqueur,

des sèves de vigueur aux éveils fantastiques,

des cuivres hésitants dans les blêmes lueurs.



Montaient des profondeurs, cathédrales d'eau parme,

le chant balsamique des orques fabuleux,

les clameurs marines et l'infernal vacarme

du boutoir des marées sur les siècles crayeux.



Dans le brasier des soirs les quartiers de chair crue

des soleils engloutis grillaient sur l'horizon.

Des flaques de sang chaud dégoulinaient des nues

sur les turquoises feus et les verts céladon.



J'ai dansé sur les flots des transes d'hétaïre

sous les rires furieux des oiseaux clabaudeurs,

au rythme du ressac qui roulait mon navire

sur des vagues de sang vers d'étranges ardeurs.



En rut, l'Amazone roulait des bois précieux

dans ses flots noirs de boue qui frappaient sur ma coque.

Des oiseaux inconnus avaient taché les cieux

de fientes d'azur vert près du vieil Orénoque.



Déjà quand les brisants, hauts fonds de la mémoire,

où le sombre naufrage entraînait mon destin,

dans la peur des retours sur le tain des miroirs,

je cherchais mon image et mes rêves lointains.



Puis la quille éclatée, vergues et mât rompus,

les voiles en lambeaux, le gouvernail brisé,

j'ai dérivé longtemps sur l'océan perdu.

Je sentais l'appel sourd des âmes trépassées.



Jamais je ne verrai les vertes Amériques,

ses couchants cramoisis, ses femmes indolentes,

ni les cieux bleu turquin sous les moites tropiques

ni le moindre repos pour les âmes errantes.



Mais qu'importe au marin le salut des mouillages,

la tristesse des ports, les bouges enfumés.

Partir, partir sans cesse, vers de nouveaux rivages

porter un regard neuf sur les mers déchaînées.



Car partir n'importe où hors du monde peut-être,

c'est le rêve maudit de l'homme sans espoir

regarder l'absolu au lointain disparaître,

et sur les mers de nacre s'enivrer d'or les soirs.





Thierry CAILLE



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