Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL

ALI MOUSSA IYE, ÉTABLIR LE DIALOGUE ENTRE GHAT ET MORNE

par khal torabully
ALI MOUSSA IYE, ÉTABLIR LE DIALOGUE ENTRE GHAT ET MORNE

Nous l’avons déjà écrit : l’Aapravasi ghat, le premier site mauricien inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, peine encore à assumer toute la portée de sa mission. Cela est dû en grande partie à une sorte de paralysie structurelle, le ghat étant sans réel directeur, nonobstant les efforts valeureux de l’équipe actuelle dirigée par Raju Mohit, l’officer in charge. Des comités de pilotage ont eu lieu pour rendre viable ce site, dans le cadre de la zone tampon instituée par l’Unesco. A l’heure actuelle, le ghat est encore en train de construire un contenu à la hauteur de sa portée symbolique, historique et sociologique. Cette lenteur est aussi imputable au manque d’expérience du pays en la matière. Je crois que la visite d’Ali Moussa Iye devrait nous inciter à donner un coup d’accélérateur à nos devoirs de mise en perspective du site port-louisien.

J’ai à cœur que les responsables du pays, de concert avec les instances chargées d’honorer ce classement, arrivent à donner au ghat une réelle visibilité, un ancrage dans le tourisme culturel durable, avec un vrai projet au cœur de la Cité.

Raju Mohit et moi-même avons régulièrement évoqué la possibilité d’un tracé suivant les contours de la zone tampon, pour le ghat «sorte de ses murs». Dans cette zone, des marqueurs historiques (dont les Américains sont très friands) baliseront un espace dévolu à l’Histoire et à ses potentialités, reliant la grande Poste, le Vagrants’ Depot, le Ghat et d’autres lieux d’intérêt, pour créer une synergie entre ceux-ci afin de poser l’élément culturel au cœur grouillant de Port-Louis. Dans le respect de l’esprit qui sied à la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, nous avons pensé initier une pédagogie avec les riverains, à l’image de ce qui se fait à l’étranger, par exemple à Lyon, où les citoyens ont dessiné une volonté de mettre en lumière les 10 % de la ville classés par l’Unesco. Le pouvoir politique local et national a dégagé un plan d’action et de communication pour qu’une politique se dégage auprès du label Unesco et une série d’activités a vu le jour autour d’un projet pris à bras-le-corps par le citoyen, à l’instar de l’association Renaissance du Vieux-Lyon qui fut à l’origine de la loi Malraux et du classement du vieux-Lyon (1).

A Maurice, il est impératif qu’une politique soit mise en place pour que les riverains du ghat comprennent la portée de ce site et l’intérêt qu’ils ont de le mettre en valeur, y compris économiquement. Tout le monde a à y gagner. C’est un défi à relever, une pédagogie à mettre sur pied afin que le ghat ne soit pas qu’un monument glorifié par un classement, ne demeurant qu’un espace sans vitalité, morne, si je puis dire. Il doit agir comme aiguillon à plusieurs niveaux : culturel, historique, identitaire dans le sens d’une rencontre avec l’altérité dans les migrations liées à l’engagisme. C’est à cette pédagogie qu’Ali Moussa Iye, indubitablement, nous invitera.

Il me paraît essentiel, que l’autre site classé, Le Morne, soit dans un rapport d’articulation et non de juxtaposition, avec le ghat. C’est la nature de la coolitude que j’ai prônée depuis plus de vingt ans. Cette poétique a déjà ouvert l’engagisme sur l’esclavage, frotté leurs deux imaginaires pour qu’un Humanisme du Divers exprime les richesses de ces deux pans de la mémoire du pays et d’autres espaces humains. Aussi, je me réjouirais de la création de l’Observatoire de la diversité culturelle que le gouvernement, voudrait relancer auprès de l’Unesco. De même que la création d’un Institut sur des études comparatives entre l’esclavage et l’engagisme, que j’appelle aussi ardemment. Cela, nous l’avons débattu avec d’autres intellectuels et historiens, dont Jocelyn Chan Low. Le Partage de mémoires est le socle d’un programme de la diversité culturelle que j’ai présenté au public et aux responsables du ghat, en prévision du classement du Morne. Les journaux s’en sont fait l’écho l’an passé. Cette vision fut discutée avec Ali Moussa Iye à l’Unesco en 2006 et elle porte cet esprit de mise en relation entre esclavage et engagisme, si salutaire pour la République de Maurice.

C’est sur le double socle ghat-Morne, cette matérialité bifide de notre Histoire, comportant les deux volets de l’engagisme et de l’esclavage, que l’état mauricien et les citoyens doivent bâtir une réflexion sur leur rapport à l’altérité en leur propre terre et avec l’ailleurs. Je sais qu’Ali Moussa Iye est un militant déterminé à instaurer un rapport dialogique entre ces deux sites, afin d’éloigner les vieux démons sectaires qui n’ont de cesse de hanter les mémoires et le devenir d’un pays indépendant depuis quarante ans et qui doit encore se définir comme nation. Je cite la lettre qu’il m’a adressée le 19 octobre 2006, exprimant son intérêt pour «ce projet (2) qui viserait à développer la réflexion sur les liens entre l’engagisme et l’esclavage et sur la question de la mémoire partagée dans les pays qui ont connu ces deux systèmes d’exploitation de l’homme. L’analyse comparative de ces deux phénomènes permettrait notamment de mieux comprendre la formation de la société mauricienne et au-delà des sociétés issues de ces deux tragédies».

Cette construction peut et doit se faire dans l’articulation du ghat et du Morne, pour éloigner le risque de faire du patrimoine mondial des chasse-gardés communautaristes. La visite d’Ali Moussa Iye doit nous porter vers cette nécessité de nous ouvrir à l’Histoire de l’autre, afin de mieux nous appréhender.

Afin donc de donner toute l’envergure désirée à ces sites, il s’avère indispensable que l’Etat mauricien puisse appuyer des événements du type Partage de mémoires déjà exposé dans la presse et demander l’expertise de l’Unesco pour le programme de tourisme durable lié aux sites du Patrimoine Mondial. Ce programme vise la «préservation de la valeur universelle» de ceux-ci et a pour but de favoriser «le dialogue entre les cultures». Un des objectifs du Centre du patrimoine mondial que l’Unesco promeut consiste à «aider les communautés vivant à proximité des sites à vendre leurs produits et à utiliser les sites du patrimoine mondial comme des leviers pour le développement économique et social». Il est donc temps que Maurice puisse quitter l’étape consistant à mobiliser ses énergies pour la demande de classement du ghat et du Morne, pour maintenant donner aux sites classés leur pleine expression tant dans les domaines économique, social, intellectuel que culturel, historique et symbolique. Cela prouvera que le pays aura compris que le classement de ces deux lieux n’est pas l’aboutissement, mais le commencement d’une grande aventure humaine.

{{Khal TORABULLY}}

{Note :}

{(1) Actuellement, cependant, la prolifération de boîtes de nuit et de restaurants incite à beaucoup de prudence et semble aller contre cet esprit de tourisme culturel durable…

(2) Projet que je lui avais soumis pour une mise en relation entre l’engagisme et l’esclavage dans le cadre de Partage de mémoires.}

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.