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AINSI PARLERAIT (PEUT-ÊTRE) ZARATHOUSTRA

Par Miki RUNEK
AINSI PARLERAIT (PEUT-ÊTRE) ZARATHOUSTRA

_ En ce temps-là était le Maître.
_ Et le Maître régnait sans partage sur la Terre.
_ Car le Riche était le Maître
_ et la Terre était Richesse.
_ Les gens du Maître étaient tous gens de terre,
_ et les fruits de la Terre, arrachés par eux,
_ revenaient tous au Maître.
_ Et l'Ordre régnait sur la Terre du Maître.
_ Et le Maître dit que cela était bon.

_ Or il advint que les gens du Maître,
_ naguère muets,
_ se prirent à parler,
_ réclamant pour leur compte
_ non LA Terre
_ mais DE LA Terre;
_ Et leur Verbe se fit cher, pour le Maître.

_ Lors le Maître se déprit de la Terre,
_ montrant ainsi qu'il n'était point tant Homme de Terre
_ qu'attaché aux fruits qu'il en recevait.
_ Et le Maître dit à ses gens: "C'est bien!...
_ Achetez-moi de cette Terre-mienne,
_ J'y consens!"
_ Et les gens achetèrent dans la liesse
_ les parcelles que le Maître concédait.
_ Et ceux d'entre eux qui clamaient
_ que cette Terre était leur, tout autant qu'au Maître,
_ fécondée qu'elle était par leur sueur-semence...
_ ...Qu'ils n'avaient point à l'acheter mais à la prendre...
_ Ceux-là se virent voués par leurs frères
_ aux gémonies et à la vindicte.

_ Ainsi le Maître,
_ ne possédant plus toute la Terre,
_ mais sa plus grande partie seulement,
_ n'en continua pas moins à régner sur tous ses fruits.
_ Et les enfants du Maître se firent marchands
_ et instaurèrent un Nouvel Ordre.
_ Toujours, certes, régnait la Richesse;
_ mais si, de cette richesse, la Terre demeurait Mère,
_ son Père, désormais, se nommait Négoce.

_ Et les enfants du Père, et les enfants de la Mère
_ possédèrent à leur tour leurs gens,
_ devenant Petits-Maîtres de la Terre
_ et Petits-Maîtres du Négoce.
_ Les uns et les autres,
_ instruits par l'expérience des Anciens,
_ concédaient à leurs gens des bribes de la Richesse,
_ en quantité parcimonieuse, certes,
_ mais raisonnablement suffisante
_ pour que ceux-ci s'en crussent co-détenteurs
_ et s'en fissent les plus ardents défenseurs
_ face à la Canaille Partageuse.
_ Et le Vieux Maître vit que cela continuait
_ à être bon.

_ Mais voici que les Petits-Maîtres
_ accueillaient désormais leurs gens
_ - non, bien sûr, à leur table -
_ mais dans les communs de leurs demeures.
_ "Prenez et mangez" disaient-ils.
_ "Voyez comme le Ciel sait récompenser
_ ses serviteurs fidèles,
_ et comme il punit les ingrats!"
_ Voici qu'ils tenaient à leurs fermiers et métayers
_ un langage neuf:
_ "Nous sommes tous Gens de Terre" clamaient-ils.
_ "Ensemble, nous continuerons à jouir de ses fruits,
_ pourvu que nous demeurions unis
_ sous l'aile tutélaire de l'Ultramarine Divinité
_ naguère hexagonale, aujourd'hui dodécagonale!"
_ Et tous poussaient des "Eia" d'allégeance enthousiaste.

_ Tous les Petits-Maîtres étaient enfants du Maître,
_ parents-z-amis-z-et-alliés,
_ mais on trouvait désormais à leurs côtés
_ des enfants de leurs gens,
_ cuisinant au même fourneau,
_ à défaut de manger au même plat;
_ reconnaissants à défaut d'être reconnus.
_ Et le Maître dit que cela
_ n'était pas mauvais du tout!

_ Mais les gens des Petits-Maîtres,
_ et les enfants de ces gens,
_ et les enfants de leurs enfants
_ avaient des yeux.
_ Et voici que leurs yeux vinrent à se dessiller.
_ "Voyez, disaient-ils, comme se font rares
_ les fruits de notre Terre-Mère!
_ Voici que notre Parâtre-Négoce
_ ne consent à nous les dispenser
_ qu'à un prix tel
_ que nombre des nôtres en sont privés sans espoir!"

_ Alors, Valets de la Terre et Valets du Négoce,
_ pareillement exclus de l'Eden d'Abondance,
_ levèrent l'étendard de la Révolte.
_ Non point contre les Petits-Maîtres
_ mais les uns contre les autres:
_ chacun jalousant l'autre
_ des miettes récoltées par lui
_ à l'Autre Table.

_ Et les Petits-Maîtres révélèrent le génie
_ du Maître, leur père.
_ Ceux du Négoce levèrent une légion de leurs gens
_ pour écraser une semblable légion
_ dressée par ceux de la Terre.
_ Et les tribuns de ces légions croyaient
_ souvent de bonne foi,
_ combattre l'Oppresseur Commun.
_ Cependant, les Petits-Maîtres,
_ entre dessert et café,
_ s'entre-congratulaient
_ comme il convient entre gens de bonne compagnie,
_ des succès et des revers alternés
_ sur l'Echiquier de la Bonne Conscience.
_ Le Vieux Maître se disait que, décidément,
_ ce Pays est un beau pays!

_ Les fils bâtards ne furent pas lesplus tièdes,
_ consciencieux zélotes d'un parâtre
_ devenu maquereau,
_ ou d'une Mère
_ réduite à la prostitution,
_ dans leur vain espoir de voir enfin consacrer
_ une légitimation incessament refusée.
_ Ainsi vit-on le Frère insulter le Frère,
_ le Frère écraser le Frère,
_ sur le corps exsangue de la Terre-Mère au sein tari.

_ Et les Maîtres-Démiurges,
_ observant ce dérisoire Armageddon de laquais
_ qui se prenaient pour des Archanges de Lumière,
_ conclurent que tout cela
_ n'était pas très bon, certes...
_ Mais que, somme toute,
_ cela aurait pu être pire...
_ ...pour eux!

Miki RUNEK

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