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ACTUALITÉS : « JOËLLE URSULL, RALPH TAMAR, EUGÈNE MONA ET AIMÉ CÉSAIRE SONT MORTS » ! KASSAV’ N’EST PAS MIEUX !

ACTUALITÉS : « JOËLLE URSULL, RALPH TAMAR, EUGÈNE MONA  ET AIMÉ CÉSAIRE SONT MORTS » ! KASSAV’ N’EST PAS MIEUX !




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En ce vendredi 22 mai 2009, le groupe de zouk, emblématique de la Martinique, Kassav', ambassadeur, dans le monde entier, de la musique antillaise, se produisait à Benquet, village français de 1 345 habitants dans le sud-ouest de la France, un peu comme si l'Orchestre Philharmonique de Berlin donnait un concert à Basse-Pointe.

 

Je me faisais une joie de rencontrer, peu d'instants, Jacob Devarieux ou Jocelyn Béroard, puisque la Martinique venait à moi, Benquet étant à quelques kilomètres de chez moi. Le zouk j'ai commencé à l'aimer quand j'ai quitté la Martinique c'est à dire quand je n'en entendais plus du tout. Car du zouk, dans les années 90, difficile d'y échapper, dans les supermarchés, sur les radios, volume maximal dans les voitures bloquées comme la mienne dans les embouteillages vers Fort-de–France, soit tous les jours, partout et toujours du zouk. En ce temps là, l'âme antillaise était là, en somme.

 

Je pars donc assister à ce concert, en fait, dans le seul but de visiter mes amis martiniquais et recevoir, je l'espérais, l'espace d'un instant la chaleur humaine martiniquaise. Ambiance champêtre, bon enfant, campagnarde, dans cette France profonde, rurale.

 

21 heures 15, je suis en retard. Tant pis, je suis pas là pour çà, moi. J'entre, c'est le flash, ce sont bien eux, pas des sosies. Kassav', qu'a pas changé. Et je pense à cette chanson kolé seré, de 1987 ou 1988, chantée par Philippe Laville et Jocelyn Béroard et cette phrase du début de Philippe Laville  « Moi je n'aurais pas imaginé que je te reverrais, tant d'années ont passé, je vois que tu n'as pas changée » , le reste, Jocelyn, est en créole. Il faut pas me demander la lune, je parle pas créole. Allez savoir pourquoi, j'avais écouté cette chanson dans un bar à putes avant de venir à la Martinique et elle était prometteuse, les paroles, le créole, la musique, la Martinique. Elle s'est lentement associée à ce pays dans ma tête, et souvent, elle me ramène là-bas, dès les premières percussions. C'était une chanson de Kassav'. Une chanson d'amour ; pas des paroles légères.

 

Je suis fatigué mais l'émotion me saisit bien un quart d'heure, kolé seré, en créole intégral, un instant de plaisir et de nostalgie. Donc le concert se poursuit devant un large public de paysans bedonnants et de quelques groopies femelles, hystériques et zoukophiles. Tout est huilé, les échanges avec le public, les déhanchements de Jocelyn, le calme de Jacob, quelques nouveaux, « Nous sommes là, jusqu'à la fin de la nuit et au matin, on ira boire un jus de coco. » Et la salle de glousser. Je sais qu'ils doivent filer vers minuit dans un hôtel dont le nom est tenu secret. Tout y est , «  yé cric, yé crac ». Et tous ces cons de reprendre , «  yé cric, yé crac ».

 

Il faut aussi être un peu sérieux. Jocelyn se fait grave au micro. « Il faut penser un peu à l'histoire, aujourd'hui, en ce moment, le 22 mai à 8000 km d'ici, on célèbre l'abolition de l'esclavage » . Le tout en 13 secondes, j'ai chronométré. Mais comme elle a pas dit ni où ni qui ni comment, j'ai fait des recherches. Effectivement, à Ulan-Ude, en Sibérie orientale, à 8000 km d'ici donc, on fête l'abolition de l'esclavage des buryates par les Mongols. Quelques applaudissements dans la salle. On s'en fout des buryates et de l'esclavage ici !

 

Je sors du chapiteau et je déniche un visage familier. Un martiniquais familier. C'est le neveu de man Jojo, qui tenait un restaurant à l'Anse à l'âne aux Trois-Ilets, une sacrée meneuse de revue, man Jojo. On parle de la famille, Gaby, Victor et de Coco, René Corail, que j'ai bien connu chez man Jojo, vu qu'il stationnait chez elle, pour tafiater et déparler sur le monde ingrat. Lui, l'exact Van Gogh martiniquais, méconnu, aigri et tafiateur surtout. Il n'a pas peint que les fameux « Tournesols », René Corail. Mais quelques croûtes que j'ai parfois achetées et payées chers à man Jojo, question d'ardoises pas les miennes, celles de Coco ! Et je me dépêchais de m'en défaire de ces « Van Gogh » en les offrant à mes amis, je voulais pas çà chez moi. Le frère martiniquais avait quitté le pays il y a 17 ans. Il y est retourné, il y a 9 ans pour un mois. Et il a foutu le camp au bout de 15 jours. J'ai pas osé lui demander pourquoi. Je savais que sa réponse nous entraînerait à des propos de malveillants et à mal parler sur la Martinique. Et puis je voulais voir mes amis de Kassav'.

 

J'appelle un bénévole pour qu'il mande le régisseur, le boss. Arrive, un blanc-france, la quarantaine, affairé. Je me présente : Eugène Mona avec un message pour Devarieux ou Béroard. Fallait être honnête car déjà, j'avais essayé de me faire passer pour journaliste auprès de l'organisateur local : « Quel journal ? »  Je réponds tout de go « France–Andouilles de la Martinique » « Votre carte de presse » m'intime le notable. Raté ! Donc je glisse un mot griffonné à l'attention de Jocelyn ou de Jacob  : « Eugène Mona, Joelle Ursull, Ralph Tamar et même papa Césé m'ont demandé de venir 2 minutes serrer la main de Devarieux et de faire une bise à Jocelyn. Signé : Thierry Caille » .

 

Malgré la promesse d'une folle nuit antillaise, à 22 h 55 dernière chanson. A 23 h 15, on fait évacuer la salle, pour le boulot des techniciens. Je me hasarde auprès du Maire, en sueur, pour joindre mon régisseur. Il faut attendre. J'attends mais dehors maintenant, assis sur un banc, près de la sortie des artistes . C'est normal, il faut les laisser se reposer, se retourner après 2 heures d'intense communication avec mes provinciaux agricoles et de bons mots et des sourires, mille fois répétés. Il y a que moi qui attends d'ailleurs. Le temps passe, 23 h 30. Enfin le Maire arrive, grave : « Non, Monsieur Mona, le régisseur a dit non, ils ne peuvent pas vous recevoir. » « Et pour cause ! » avais-je envie de dire à cette éminence municipale. Alors j'attends encore, pourquoi ? pour les apercevoir, sortir de leurs loges d'artistes. Je suis seul. En face de moi un grille de 2 mètres de haut et derrière patrouillent des agents de sécurité et un rottweiller tout aussi sympathique. Le régisseur, vers minuit, passe toujours affairé, du bon côté de la grille, donc pas du mien s'arrête 10 secondes . « Non, c'est pas possible et Jocelyn a dit qu'ils étaient tous morts ces gens-là ! » . Certains, je dois avouer, je le savais mais pas tous quand même ! Je reste sur mon banc, j'attends, je sais plus quoi, qu'ils sortent, croiser un regard martiniquais, qu'ils me voient sans me voir. Je suis seul, je fume calmement. A 0 h 45, un vigile, pris de pitié, s'approche de la grille et me dit qu'ils sont déjà partis depuis 30 minutes. M'en fous ! Je reste et je pense.

 

A quoi je pense ? A un court-métrage, à réaliser. Deux scènes juxtaposées. La première scène : un homme, élégant, inconnu, de race blanche, plaidant devant le Ministre de la culture et de la francophonie ivoirien, Monsieur Augustin Kouadio Komoe et ses vieux sages, 10 conseillers, tous attentifs, la cause antillaise et l'indépendance de la Martinique, avec éloquence et conviction, citant dans le texte, Sartre, Fanon et Césaire et portant d'éloquentes missives auprès de Laurent Gbagbo, Président de la République ivoirienne, qui lui intimaient l'ordre d'agir auprès de la France en ce sens. La deuxième scène : ce même homme, seul, mal rasé, moins élégant, muet, amaigri, assis sur un banc, la nuit, seul, face à une grille devant des vigiles et un rottweiller, attendant en fumant tranquillement, que ne passent les « vrais ambassadeurs de la Martinique » , le groupe Kassav' mondialement connu et reconnu pour son ambassade.

 

Mais je ne suis pas cinéaste. Alors au bout d'un moment, vers 1 h 30 du matin, je suis parti, il n'y avait plus personne d'ailleurs, il faisait frais, j'avais plus de clopes non plus. Je suis rentré chez moi, dans le petit brouillard de cette petite campagne landaise.

 

J'avais quelque amertume, mais, bah ! A 2 heures du matin, on est toujours amer et parfois fatigué. Des huiles qui m'ont reçu, y en pas beaucoup dans le milieu de l'art ou de la politique, dans notre monde occidental. Oui, martiniquais et occidental, sachez-le, c'est un pléonasme, car y a pas de différence. Les gueux comme moi peuvent pas accéder aux grands de ce monde sauf en Afrique car là-bas on attend de voir l'homme, de savoir ce qu'il a à dire, ce qu'il pèse, on prend le temps de l'écouter avant de le renvoyer chez les gueux, d'où il vient ou de le garder à manger, parmi les grands, d'aller prendre une bière ensemble dans quelque maquis discret, les bars locaux.

 

Etranges ces africains qui placent l'homme avant ses titres et ses décorations car c'est quand même nos civilisations qui ont inventé l'humanisme. Et je peux les citer tous, un à un, nos inventeurs de l'humanisme, tous de chez nous, notre civilisation occidentale. Et ces cons d'africains qui savent même pas lire, la transmission orale, sont les seuls à les avoir entendus nos humanistes, de bouche à oreille, ou alors on leur en a jamais parlé tout simplement et c'était inné chez eux, ancestral. Ils ont pas besoin de traités d'humanisme, les africains. Ailleurs on s'époumone, on écrit des bouquins destinés à nous-mêmes, des théories, des traités d'amour universel, des modes d'emploi : comment être un homme et ce depuis des lustres. Ailleurs, dans le monde occidental, que ce soit aux Antilles comme dans le reste du monde, qu'est presque plus qu'occidental.

Finalement, on les lit ces bouquins et ceux qui les écrivent deviennent des huiles, souvent inabordables. Pas tous, je sais, je sais. Paradoxalement plus ils en font dans l'humanisme moins ils se l'appliquent à eux-mêmes, moins ce sont des hommes. Pas tous, je sais, je sais.

 

J'en ai connu des trou-du-cul qui sont devenus grands de ce monde, maires de leur commune, puis conseiller ceci ou cela, puis Président du Conseil de ceci ou de cela. Et ils oublient qu'ils ont été gueux ou trou-du-cul. Vous serrent plus la pogne. J'en ai connu des artistes, qui grattaient, minables, une guitare, vous causaient espérant un quelconque mécénat, une bière pour commencer. Aujourd'hui, faut s'adresser à leur attaché de presse pour avoir un autographe, en payant bien sûr. Car les honneurs, les distinctions, les prix littéraires, les mandats électoraux, la renommée, en général çà vous change un gueux. Le fric aussi vous change un gueux et çà va souvent ensemble. Cà vous change la dignité en tout cas. Cà vous change la condition humaine.

 

Finalement, il y a plus de chance de trouver un homme parmi les gueux que parmi les grands de ce monde, artistes, grands hommes mondains, hommes politiques, écrivains reconnus, archevêques, célébrités et éminences diverses . Mais p armi les gueux, les croquants, les voyous, les mandrins, les malfrats, les clochards, les indésirables, les fous et les poètes, les moches, les insignifiants, les alcooliques, le rebut aussi, il y a plus d'hommes, je le sais, plus de part d'homme.

 

C'est pour cela que j'aime les peuples, les peuples simplement. Et les peuples taiseux car quand quelqu'un prend la parole au nom du peuple, je sais comment çà finira, toujours à l'Olympe, avec des petits fours et des paparazzi. Certes, il y a des cons insupportables parmi les peuples, c'est pas toujours leur faute, mais une plus grande certitude de trouver des hommes. Vous voulez des noms ? Inutile, mes gueux, vous ne les connaissez pas, les hommes, cherchez-les, les cons, c'est plus facile à trouver, ce sont les plus nombreux et les autres, les célèbres, les étoiles du firmament, pas la peine, eux, vous les connaissez, puisque ils sont célèbres. Même chez vous, aux Antilles, les french west indies, les Indes occidentales françaises, c'est plus parlant comme appellation, d'ailleurs.

 

Il y a toutefois quelques exceptions.

 

J'ai rencontré dans ma vie un gueux, un poète, qui était assez connu, même beaucoup à dire vrai et qui était resté un homme. Il s'appelait Aimé Césaire. Cà vous dit quelque chose, ce nom de gueux ? Mais c'était un dieu, non, c'était un homme qui aimait les poètes et les hommes.

 

Et je connais différemment, un Duc, versé dans l'écriture, cette fois. Malgré ses titres, c'est aussi un homme mais pas un gueux.

 

J'ai rencontré enfin cet homme du Béarn, peu connu, Jean Lassalle, homme rude, fier, chaleureux, allure de montagnard, député des Pyrénées atlantiques à l'Assemblée nationale, non-inscrit. Inscrit à quoi ? Député ou représentant du peuple nécessitent-il d'être inscrit à quelque chose. L'assemblée nationale est-elle un club chic, un cercle privé où l'on s'inscrit ? Il a mis sa vie en danger pour sauver des emplois, 166 dans sa vallée d'Aspe, dans le Béarn, sous les sourires amusés de ses collègues députés. Mais il a réussi, tout simplement, à faire plier, l'Etat fataliste, les industriels japonais, une multinationale, car un député qui meurt pour ses électeurs, çà aurait fait désordre pour la réputation nationale et imposé une étude sémantique sur quelques mots désuets comme député du peuple, assemblée nationale, politique, démocratie. Et cette bourrique de béarnais, on a fini par comprendre qu'elle reculerait pas. Il était prêt à mourir, ce con, pour son Béarn.

 

Il a récidivé le bougre, se levant un jour dans l'hémicycle pour chanter, a capella, d'une voix de baryton, devant quelques centaines de ses collègues toujours amusés, une chanson béarnaise en béarnais, pour rappeler que son pays existait. Lorsque vous verrez, martiniquais, Messieurs Alfred Almont, Serge Letchimy, Louis-Joseph Manscour et Alfred Marie-Jeanne, vos députés, chanter une vieille chanson créole pour quatre voix, avec gros-ka et flûte de bambou si besoin est, en séance plénière à l'Assemblée nationale, vous serez convaincus qu'ils ne vont pas faire du tourisme à Paris, s'ils y vont quelquefois, ce pourquoi vous les avez élus, ce pourquoi aussi, ils sont payés.

 

Bref ! Fallait bien le commémorer ce fameux décret du 4 mars 1848, ce 22 mai ou 23 mai 2009, décret rédigé par Victor Schoelcher, l'alsacien de race blanche, qui rendait libres 74 450 esclaves martiniquais, officiellement, car parmi eux beaucoup devaient déjà marronner, au tréfonds de leur être. J'ai allumé une cigarette, et, calé dans mon fauteuil, j'ai écouté, recueilli, le chœur des esclaves du Nabucco de Verdi. Et c'était pas si mal comme idée de commémoration, en tout cas dans la plus stricte intimité. Pas vu, pas pris.

 

Avant de m'endormir, j'ai pensé qu'on pourrait aussi commémorer les 21 septembre, la mort de Georges Nilecam, en jouant la pièce Mon'la wo ou par d'autres célébrations, il y a matière.

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Pour Kassav', je laisserai à d'autres sculpteurs le soin de tailler, le moment venu et il est proche, d'autres statues, pourvu qu'elles soient en marbre de Paros !

 

Thierry Caille

 

 

 


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