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A PROPOS DU PLAIDOYER DE KINVI LOGOSSAH ET HECTOR ELISABEH

Michel Branchi
A PROPOS DU PLAIDOYER DE KINVI LOGOSSAH ET  HECTOR ELISABEH

Michel  Branchi, économiste, ancien enseignant associé à l’Université Antilles-Guyane, propose une tribune en réponse à celle de MM. Kinvi Logossah et Hector Elisabeth développant un "plaidoyer pour une nouvelle stratégie de développement à la Martinique".

 

Oui à une autre stratégie ou un autre modèle de développement en Martinique. En tirant les leçons du passé et en allant de l’avant. Kinvi Logossah, professeur des Universités,  et Hector Elisabeth, ancien professeur associé à l’UAG, ont publié un « Plaidoyer pour une autre stratégie de développement à la Martinique »

S’il s’agit d’argumenter pour la mise en œuvre d’un autre modèle de développement en Martinique, nous ne pouvons qu’exprimer notre accord sur cet objectif. Et le colloque du Ceser (Conseil économique et social régional) sur le thème « l’économie de la Martinique : rupture et mutations » était le bienvenu. Encore faut-il faire un bon diagnostic de la situation économique et sociale martiniquaise en 2014.

La départementalisation dévoyée

Le modèle que Logossah et Elisabeth appellent,  à mon avis, abusivement « césairien », est effectivement issu de la départementalisation voulue par les communistes martiniquais et  Aimé Césaire non seulement pour éradiquer la vieille misère coloniale en arrachant par la lutte les acquis sociaux de la classe ouvrière française,  mais surtout pour briser le cadre colonial et engager la Martinique sur la voie du développement (cf Thélus Léro, Sénateur martiniquais communiste en 1946).

C’est une erreur que d’écrire que « Césaire fit de la départementalisation les jambes de la stratégie de développement susceptible de booster le bien-être des plus démunis ». La vérité est que la mise en œuvre de la départementalisation rapidement échappa pour  l’essentiel à Aimé Césaire, aux communistes martiniquais et d’une manière générale aux acteurs locaux nonobstant la décentralisation-régionalisation après 1981 qui introduisit une très  relative capacité d’initiative locale.  Dès les années 1950 les communistes, puis Aimé Césaire, récusèrent le nouveau système départemental-colonial qui, à leurs yeux, avait maintenu et renforcé le cadre colonial et ses rapports de domination économique et politique.

Césaire d’abord marxiste et communiste

Dans des formes et avec un calendrier propre, communistes d’abord  et césairistes ensuite revendiquèrent l’instauration d’un pouvoir local inséparable d’un autre modèle de développement. Cela il ne faut pas l’occulter. Ce fut comme une autocritique précoce de la voie de la départementalisation-assimilation. 

Sur le plan de la philosophie, le désir de Césaire et des communistes d’œuvrer pour « les plus démunis » correspond peut-être au « courant doctrinal de John Rawls ». Mais il faut rappeler l’adhésion d’Aimé Césaire aux Jeunesses  communistes en France dès 1935. Et ce qui inspira alors et longtemps après la pensée et l’action d’Aimé Césaire- et cela  au moins jusqu’en 1956- c’est la pensée marxiste, c’est-à-dire le courant doctrinal du socialisme scientifique prônant ce qu’on appelle aujourd’hui le développement endogène ou autocentré avec pour moteur la justice sociale dont on retrouve des éléments dans la « Lettre à Maurice Thorez » se référant au marxisme.

Un nouveau mécanisme d’exploitation coloniale : les transferts publics transformés en profits privés

Cela précisé, c’est l’inverse qui s’est produit. Certes, c’est grâce à  l’action publique, comme l’a reconnu le très néolibéral Olivier Sudrie dans ses divers rapports pour la  Chambre de commerce sur les effets de la départementalisation, que cette dernière a produit  des avancées sociales indéniables aux plans de l’éducation, de la santé, du logement,  etc. Mais au vieux système de l’exploitation coloniale à partir de produits d’exportation (sucre, rhum, banane, etc) s’est substitué au tournant des années 1960 un mécanisme nouveau de création de profits au bénéfice des lobbys locaux et de la métropole branchés sur le flux des transferts publics et sociaux ainsi que de son double l’importation. Le chômage n’est pas seulement « persistant », comme le regrettent Logossah et Elisabeth, mais consubstantiel au système lui-même qui produit et reproduit le sous et mal développement et la mise en jachère de la force de travail.

Selon le rapport DME (Didacticiels et modélisation économique) dirigé par le Pr Olivier SUDRIE «50 ans de progrès économique et social en Martinique» (juin 2004) un euro de transfert public net en 2000 engendre:

– D’un côté, 0,34 € d’importations en France, 0,46 € de valeur ajoutée (richesses supplémentaires) en France, 0,21 € de prélèvements obligatoires au bénéfice de l’État français ;

– D’un autre côté, 1,46 € de valeur ajoutée (richesses supplémentaires) en Martinique, 0,59 € de prélèvements obligatoires au bénéfice de l’État français.

– Au total :

• l’État récupère 0,80 € (0,21 € + 0,59 €);

• les capitalistes français 0,46 € ;

• les capitalistes martiniquais une part évaluée à 7,3 % des 1,46 € de valeur ajoutée locale, soit  0,11 € ;

• le déficit n’est que de 0,20 € sur 1 € de dépenses publiques.

Les DOM ne sont donc pas un fardeau pour la France et loin de là. Depuis 2000 structurellement rien n’a changé. Une autre voie de type néolibéral a pourtant été tentée : celle de la stimulation du secteur privé par l’abaissement du coût du capital (défiscalisation Pons en 1986) et la réduction massive du coût du travail (exonérations de charges patronales avec Perben en 1994 et surtout Girardin en 2003 ). Cela a donné l’euphorie passagère et destructrice de la bulle immobilière des années 1990 et 2000.

L’ascenseur social « en panne » au passage de l’an 2000

Ce modèle est entré en crise précisément au passage des années 2000. Et « l’ascenseur social est tombé en panne » (Victor Vaugirard, Pr d’économie). Les inégalités sociales se sont à nouveau creusées. Les pauvres sont deux fois plus pauvres qu’en France et les riches sont deux fois plus riches. Entre un cinquième et un quart des Martiniquais (ses) vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Un retraité sur deux est en dessous du seuil de pauvreté avec 540 euros en moyenne par mois..  Les profits se sont mis à augmenter deux fois plus vite que la croissance du PIB(Produit Intérieur Brut), etc. Le partage de la richesse globale s’est réalisée au profit des détenteurs du capital local et diminué la consommation, moteur principal du système (cf Rapport Olivier Sudrie-juin 2010, études  Insee-Caf de 2011,etc) ). Cela a été à l’origine de la grande crise sociale et sociétale de février-mars 2009 et, preuve d’une crise systémique, cela dans tous les DOM à des degrés divers.

Cette crise s’inscrit dans un contexte structurel de dépendance à l’égard des importations, de faiblesse de la production locale concurrencée durement par l’importation. À cela s’ajoutent la non-implication des banques dans la production locale qui orientent le crédit vers la consommation importée et la spéculation foncière et immobilière, la fragilité financière des entreprises, le recul régulier de la surface agricole utilisée (700 Ha par an de perdus) et la dépendance alimentaire accrue, les effets pénalisants des monopoles des transports aériens et maritimes, la vie chère et une croissance largement artificielle parce que tirée par la consommation importée et les transferts publics et sociaux, etc.

L’existence du peuple martiniquais aujourd’hui menacée

L’arrêt actuel et même le recul de la croissance entraînée par la baisse de la consommation et le désinvestissement continu du secteur privé montrent à l’envi que ce système est à bout de souffle. De plus, en raison des effets différés de la politique d’émigration massive des années Bumidom 1960/1970, la population vieillit et baisse de façon accélérée depuis 2006. Le génocide par substitution se poursuit à bas bruit. Un Martiniquais sur deux n’est pas en emploi provoquant un regain d’émigration de la jeunesse. L’existence même du peuple martiniquais est mise en cause.  La décroissance frappe à notre porte.

Et c’est pour tout cela qu’il faut impérativement changer de modèle économique. Oui il faut opérer une « rupture », mais en tirant tous les enseignements de la crise du système néo-colonial départemental.

Notamment celui-ci : Il n’y a pas de développement véritable sans implication des principaux concernés. Si le secteur privé doit être stimulé en exigeant des contre-parties, le secteur public avec comme fer de lance une banque publique de développement doit encore être la locomotive du changement vers une économie diversifiée, sociale et solidaire  et pas seulement high tech.  Le développement ne peut se faire de Paris à coups de lois-programmes, si pertinentes soient-elles, mais conçu et pensé à Fort-de-France en disposant sur place d’un minimum de leviers d’action. Cela s’appelle la responsabilité.

La collectivité territoriale de Martinique constitue, à l’évidence, un pas dans cette direction. Suffira-t-il ?

                                                                      Michel Branchi

  Economiste, ancien enseignant associé à l’Université Antilles-Guyane

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